1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 20
Le mercredi 9 mars 2016
L’honorable George J. Furey, Président
Les répercussions des changements climatiques sur les droits de la personne
Interpellation—Suspension du débat
L’honorable Mobina S. B. Jaffer, ayant donné préavis le 9 décembre 2015 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur les répercussions des changements climatiques sur les droits de la personne et sur l’impact que ces changements auront sur les plus vulnérables au Canada et dans le monde en menaçant leur droit à la nourriture, à l’eau, à la santé, à un logement convenable, à la vie et à l’autodétermination.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet d’une enquête sur les répercussions des changements climatiques sur les droits de la personne.
[Traduction]
Habituellement, les discussions sur les changements climatiques tournent autour de l’économie, de l’environnement et des données scientifiques. Ce sont là tous des dialogues nécessaires, mais, de plus en plus, les renseignements sur ces craintes exigent que nous demandions quelles en seront les incidences sur nous en tant qu’humains.
[Français]
Des études ont déjà été réalisées à ce sujet, notamment par le Pentagone, qui a désigné les changements climatiques comme étant un enjeu de sécurité, et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui a établi de multiples liens entre les changements climatiques et la façon dont leurs effets menacent de violer les droits de la personne, en particulier les droits de ceux qui vivent déjà dans la pauvreté.
[Traduction]
D’après les Nations Unies, les changements climatiques vont enfreindre de six façons principales les droits de la personne. Les droits en péril sont le droit à l’eau, le droit à l’alimentation, le droit à un logement adéquat, le droit à la santé, le droit à la vie et le droit à l’autodétermination. J’aimerais discuter de cela un peu plus en détail, afin que nous comprenions bien ce qui est réellement en péril.
Le premier est le droit à l’eau. L’eau est un élément essentiel à la vie, mais une personne sur dix n’a pas accès à de l’eau potable, et une personne sur trois n’a pas accès à une toilette. Plus de gens ont accès à un téléphone cellulaire qu’à une toilette.
Selon le Forum économique mondial en janvier 2015, la crise de l’eau constitue le premier facteur de risque mondial en fonction des répercussions sur la société. Les inondations, les sécheresses, les changements de température et les fluctuations extrêmes créent déjà des difficultés pour un très grand nombre de personnes dans le monde. Cela donnera lieu à une plus grande pénurie d’eau, à des contaminations et à la propagation de maladies.
[Français]
Dans le monde d’aujourd’hui, près d’un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2,5 milliards de personnes ne vivent pas dans des conditions sanitaires satisfaisantes. Les changements climatiques ne feront que rendre les conditions météorologiques plus instables et menacer le droit à l’eau potable d’un plus grand nombre de personnes.
[Traduction]
Le deuxième, le droit à l’alimentation, nécessite une attention de tous les instants et des mesures de protection constantes, notamment pour ce qui est de la production des aliments, de l’accès aux aliments, de l’utilisation des aliments et de la nutrition. Les changements climatiques auront une incidence sur tous ces aspects de la sécurité alimentaire et poseront pour eux une menace encore plus grande.
D’après la Banque mondiale, 702 millions de personnes vivent dans une pauvreté extrême. On peut lire dans L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde que 793 millions de personnes sont sous- alimentées. Ce sont les chiffres relevés après deux décennies de travail inlassable de la part de travailleurs humanitaires, qui ont aidé à mettre 200 millions de personnes à l’abri de la faim. Ces chiffres montrent que des progrès ont été réalisés, mais, au cours des deux prochaines décennies, les effets des changements climatiques pourraient défaire le travail accompli pour combattre la menace à l’égard du droit à l’alimentation et pourraient aggraver considérablement la situation pour des millions de personnes dans le monde.
(1540)
Cette crise entraînera surtout des répercussions dans les régions rurales de l’Afrique, mais elle aura aussi des effets considérables au Canada. Les changements dans la topographie modifieront la façon dont les collectivités nordiques ont accès aux aliments. Les routes changeront en raison des fluctuations météorologiques et il faudra trouver de nouveaux moyens de transport.
La situation aura des effets concrets sur les Canadiens et sur la communauté internationale. Nous luttons déjà péniblement contre la rareté alimentaire. Les changements climatiques rendent les obstacles plus difficiles à surmonter.
[Français]
Troisièmement, il n’est pas courant d’associer les changements climatiques à l’incidence qu’ils auront sur notre santé ou notre droit à la santé. Certains organismes tentent déjà de sensibiliser la population à ce sujet. L’Association Médecins pour la survie mondiale a affirmé ce qui suit, et je cite :
[Traduction]
Même si peu de gens sont au fait de l’incidence des changements climatiques sur leur santé, les effets sont graves et répandus. Les catastrophes naturelles d’origine climatique, les maladies causées par la chaleur, les maladies causées par les animaux nuisibles, les maladies d’origine hydrique, la pollution de l’air et de l’eau et les dommages causés aux cultures et aux sources d’eau potable peuvent entraîner de graves maladies, des blessures et même la mort.
Les enfants, les pauvres, les personnes âgées et les personnes immunodéprimées sont particulièrement vulnérables.
À quoi cela pourrait-il ressembler? Pour le comprendre, on n’a qu’à regarder ce qui se passe déjà. Le UN Chronicle a étudié l’impact des changements climatiques sur la santé et a fait valoir que dès 2000, l’Organisation mondiale de la Santé attribuait 2,4 p. 100 des cas de diarrhée et 6 p. 100 des cas de malaria aux changements climatiques. Les premiers impacts quantifiables à grande échelle sur la santé humaine seront probablement des changements dans la distribution géographique et la saisonnalité de certaines maladies infectieuses, y compris les infections transmises par des vecteurs, comme la malaria et la dengue, et les infections d’origine alimentaire, comme la salmonelle, qui atteindront un point culminant au cours des mois les plus chauds.
On a aussi commencé à comptabiliser dans les pertes attribuables aux changements climatiques les victimes de phénomènes météorologiques extrêmes, comme les 27 000 décès associés aux températures anormalement élevées en Europe, à l’été 2003. Toutefois, les conséquences futures pour la santé publique sont encore plus inquiétantes.
[Français]
Quatrièmement, il y a le droit à un logement convenable. Les phénomènes climatiques extrêmes qui se produisent dans le monde ont déjà entraîné le déplacement de milliers de personnes, et leur nombre augmentera rapidement. La menace de déplacements massifs est telle que les Nations Unies ont déjà commencé à parler de réfugiés climatiques.
[Traduction]
Ceux qui pensent qu’il y aura crise uniquement en Afrique subsaharienne se trompent complètement. Les changements climatiques auront aussi des effets sur la disponibilité de logements adéquats au Canada. Comme le montre la crise des réfugiés actuelle, ces phénomènes ont des effets dans le monde entier. La communauté mondiale sera forcée de réagir et, comme pour toutes les catastrophes que nous avons vues, la meilleure approche consiste à commencer par limiter les dommages potentiels.
Cinquièmement, il y a le droit à la vie. Il est dit à l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme que tout individu a droit à la vie…
Son Honneur le Président : Pardon, sénatrice Jaffer. Je regrette de devoir vous interrompre. Le ministre vient d’arriver. Bien entendu, vous disposerez du temps de parole qu’il vous reste pour terminer vos observations à la prochaine séance.
(Le débat est suspendu.)
1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 21
Le jeudi 10 mars 2016
L’honorable George J. Furey, Président
Les effets des changements climatiques sur les droits de la personne
Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Jaffer, attirant l’attention du Sénat sur les effets des changements climatiques sur les droits de la personne, et sur l’impact que ces changements auront sur les plus vulnérables au Canada et dans le monde en menaçant leur droit à la nourriture, à l’eau, à la santé, à un logement convenable, à la vie et à l’autodétermination.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, comme vous le savez, hier, j’ai lancé une interpellation sur les changements climatiques et leurs effets sur les droits de la personne. Malheureusement, nous avons manqué de temps, et j’aimerais terminer mon intervention d’hier.
[Français]
Cela veut dire que nous avons le droit de vivre notre vie sans que d’autres nous causent du tort. Les changements climatiques et les activités humaines qui y contribuent ont une incidence sur le droit à la vie des personnes les plus vulnérables du monde. C’est le gagne- pain de ces dernières qui pâtira des dévastations causées par le nombre de plus en plus élevé de phénomènes climatiques extrêmes et de modifications topographiques. Leurs chances de subvenir à leurs besoins sont menacées.
[Traduction]
Comme Oxfam International l’a fait remarquer :
Les échecs des pays riches face à l’urgence du changement climatique bafouent en effet les droits de l’homme de millions de personnes les plus pauvres du monde.
[Français]
Sixièmement, il y a le droit à l’autodétermination. Les changements climatiques menacent le droit de certains peuples à l’autodétermination. Le sort de pays entiers est en jeu. La hausse continue du niveau des mers, au rythme actuel, pourrait entraîner la submersion d’États insulaires du Pacifique composés d’îles basses, notamment Kiribati et Tuvalu, en quelques dizaines d’années. Les Nations Unies ont déjà commencé à parler de ces peuples comme étant de possibles réfugiés climatiques.
[Traduction]
Honorables sénateurs, lorsque nous pensons à l’incidence des changements climatiques sur l’humanité et l’économie, nous devons penser à plusieurs facettes de la question. Il est impératif d’atténuer les effets de ces changements sur tous les secteurs. Comme Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, l’a noté dans l’allocution qu’il a prononcée devant la Lloyd’s :
Les plus clairvoyants d’entre vous prévoient des répercussions mondiales plus vastes sur la propriété, la migration et la stabilité politique, ainsi que sur la sécurité de l’approvisionnement en nourriture et en eau.
Alors pourquoi ne prenons-nous pas plus de mesures pour y remédier?
Honorables sénateurs, voilà la question que je vous pose aujourd’hui. Pourquoi ne prenons-nous pas d’autres mesures?
Je veux terminer en vous faisant part d’un récit dont il est question dans un article rédigé, plut tôt cette année, par les jeunes activistes canadiens Craig et Marc Keilburger :
L’activiste inuite Sheila Watt-Cloutier se souvient du jour où son voisin n’est pas rentré à la maison.
Simon Nattaq vit en face de chez Mme Watt-Cloutier à Iqaluit, au Nunavut. C’est un chasseur qui compte des dizaines d’années d’expérience et des connaissances traditionnelles transmises de génération en génération. Il connaît le territoire. Il sait s’il est sécuritaire de s’aventurer sur la glace. Mais en février 2001, un point faible inattendu sur une piste habituellement sécuritaire l’a pris par surprise et sa motoneige a brisé la glace.
Simon Nattaq est sorti de l’eau en rampant et a survécu jusqu’à ce que les secouristes le trouvent deux jours plus tard. À ce moment-là, les engelures avaient fait leur travail. On a dû amputer ses deux jambes.
Pour Mme Watt-Cloutier, ancienne femme politique et présidente de la Conférence circumpolaire inuite, cette histoire illustre la façon dont les changements climatiques s’attaquent non seulement à l’environnement, mais aux fondations mêmes des connaissances, de la tradition et de l’identité inuites.
Honorables sénateurs, les changements climatiques nous toucheront tous, en tant que Canadiens et en tant qu’êtres humains. Aujourd’hui, je reprends la question de M. Carney : pourquoi n’en fait-on pas davantage pour lutter contre les changements climatiques?
Je vous remercie de votre attention.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Français]