1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 111

Le mardi 11 avril 2017
L’honorable George J. Furey, Président

La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Adoption de la motion d’amendement modifiée

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’amendement du sénateur Oh au projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté.

J’aimerais tout d’abord le remercier pour le travail colossal qu’il a fait dans ce dossier. Ce fut un privilège absolu de travailler avec lui à la défense des droits des enfants vulnérables.

Sénateur Oh, ce fut un plaisir de travailler avec vous sur cet enjeu. Nous avons vu la douleur d’enfants qui se battent pour faire partie de notre grand pays, et je veux encore une fois vous remercier pour l’excellent travail que vous avez fait.

Je veux vous raconter ce que vit actuellement un enfant vulnérable. Il y a 16 ans, un garçon prénommé John est arrivé au Canada, seul avec sa mère, alors qu’il n’avait que 5 mois. La mère de John, qui souffrait d’une maladie mentale, a eu des démêlés avec la justice, et John n’a pu obtenir sa citoyenneté en raison des déboires de sa mère.

Selon les dispositions législatives actuellement en vigueur, les mineurs qui veulent obtenir la citoyenneté doivent en faire la demande en vertu du paragraphe 5(2) de la Loi sur la citoyenneté. En d’autres termes, leur demande doit être liée à celle de leur parent. John a dû faire sa demande avec sa mère, qui n’était toujours pas admissible en raison de son casier judiciaire. John n’a donc pas pu devenir citoyen canadien.

John a un frère né au Canada. John a souvent dit — je l’ai entendu le dire — qu’il voulait être Canadien tout comme son frère cadet. Cela le préoccupait énormément.

Honorables sénateurs, John attend depuis longtemps, multipliant les démarches avec l’aide de son avocat, pour obtenir une dispense. Il attend depuis quatre ans, semble-t-il.

C’est ce type de cas qui est visé par l’amendement du sénateur Oh. Cet amendement cherche à ouvrir des avenues aux enfants qui sont privés de la citoyenneté canadienne aux termes des lois actuelles. Comme je l’ai mentionné, les lois canadiennes sur la citoyenneté n’autorisent pas les enfants à présenter une demande indépendante de celle de leurs parents. Ils doivent lier leurs démarches à celles de leurs parents.

Heureusement, ce n’est pas un problème dans la plupart des cas parce que les parents répondent aux mêmes critères que leurs enfants. Toutefois, si la demande d’un parent est rejetée ou qu’un enfant n’a malheureusement pas de parent qui peut présenter une demande en son nom, l’enfant ne pourra pas obtenir la citoyenneté canadienne.

Par conséquent, le paragraphe 5(2) de la Loi sur la citoyenneté empêche bon nombre d’enfants d’obtenir la citoyenneté, même s’ils respectent tous les critères. Ce paragraphe peut s’appliquer à un large éventail de personnes, qui auront toutes du mal à obtenir la citoyenneté canadienne.

La première catégorie comprend des enfants qui n’ont pas leurs parents avec eux au Canada ou qui sont orphelins. Honorables sénateurs, au cours de la dernière année, nous avons accueilli de nombreux Syriens, dont de jeunes enfants qui ont perdu leurs parents. Est-ce que nous les empêcherons de demander la citoyenneté canadienne dans trois ans parce qu’ils étaient orphelins à leur arrivée au pays?

(1700)

Des enfants appartiennent à cette catégorie. Ils arrivent au Canada non accompagnés de leurs parents.

Ces enfants méritent autant la citoyenneté canadienne que les autres enfants. Ils peuvent avoir été emmenés au Canada alors qu’ils étaient victimes de la traite des personnes ou dans d’autres circonstances où ils étaient vulnérables. Nos lois interdisent à ces enfants d’acquérir la citoyenneté canadienne parce qu’aucun adulte ne peut faire la demande en leur nom.

Cette catégorie comprend aussi les orphelins. Ce sont des enfants qui, par exemple, peuvent être arrivés au Canada avec leurs parents, mais qui les ont perdus par la suite au Canada en raison d’événements tragiques.

La deuxième catégorie comprend les enfants qui sont accompagnés de leurs parents, mais qui n’ont quand même pas le droit d’obtenir la citoyenneté pour des raisons familiales. Par exemple, leurs parents n’ont pas le droit de devenir citoyens parce qu’ils ont commis un crime.

Les enfants de ces familles n’ont rien fait de mal, mais ils ne peuvent pas devenir citoyens parce que leurs parents n’en ont pas le droit.

Enfin, il y a des mineurs dont les parents ne peuvent pas satisfaire aux conditions d’obtention de la citoyenneté. On nous a expliqué en long et en large au Sénat combien il pouvait être difficile pour certaines personnes d’apprendre l’une de nos langues officielles, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes relativement âgées. Les enfants apprennent nos langues rapidement en fréquentant nos écoles et en se mêlant aux autres Canadiens. Même si leurs parents ont de la difficulté à apprendre le français ou l’anglais, les enfants peuvent souvent apprendre ces langues beaucoup plus facilement. Devrions-nous punir les enfants lorsque leurs parents ne sont pas capables de remplir les conditions requises pour obtenir la citoyenneté? Le seul moyen pour ces enfants d’obtenir la citoyenneté sans lier leur dossier à celui de leurs parents ou de leur tuteur est de faire une demande d’exemption au ministre pour des raisons d’ordre humanitaire.

Toutefois, dans le cours du débat sur le projet de loi C-6, nous avons pu apprendre que cette exemption n’était accordée que dans les cas extrêmes. Compte tenu de la jurisprudence, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada nous confirme qu’il est très improbable qu’un enfant puisse obtenir la citoyenneté grâce à une exemption pour des raisons d’ordre humanitaire.

Cela inclut le renoncement aux exigences en matière de compétence linguistique pour les sourds-muets, ou d’autres exigences du même ordre pour les personnes handicapées physiquement ou mentalement.

En fait, les considérations d’ordre humanitaire tiennent plus compte des critères médicaux que de la situation du demandeur. Le traitement d’une demande de dispense de la part d’un enfant vulnérable peut prendre jusqu’à quatre ans, même si la demande est fondée. Beaucoup de jeunes gens à qui j’ai parlé m’ont dit qu’ils avaient atteint l’âge de 18 ans avant de se voir accorder une dispense.

Honorables sénateurs, il est tout aussi inadmissible de refuser la citoyenneté à ces enfants en raison de circonstances qui échappent à leur contrôle. Pour eux, la citoyenneté va bien au-delà du droit de vote à l’âge adulte, car elle leur donne aussi un sentiment d’appartenance à la société canadienne. C’est ce que John a affirmé. Il voulait faire partie du Canada tout comme son frère. La citoyenneté donne à l’enfant le sentiment d’être véritablement un Canadien plutôt qu’un étranger vivant au pays.

Avvy Yao-Yao Go a fait savoir aux membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie que la citoyenneté compte beaucoup pour un enfant et qu’elle a des effets psychologiques profonds sur l’immigrant. En outre, la citoyenneté apporte aux enfants vulnérables une plus grande sécurité au Canada. Les enfants vulnérables qui répondent à tous les critères d’admissibilité à la citoyenneté méritent notre protection, car nous avons une responsabilité envers les enfants canadiens.

Notre obligation d’offrir aux enfants la possibilité de devenir citoyens est inscrite dans la Constitution. Selon l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, il est inconstitutionnel de faire de la discrimination fondée sur l’âge. Or, lorsque nous refusons à des enfants le droit d’accéder à la citoyenneté même s’ils répondent à tous les critères imposés à d’autres demandeurs, nous les rendons victimes de discrimination en raison de leur âge.

De plus, nous sommes tenus d’offrir la citoyenneté aux enfants conformément à nos obligations en vertu du droit international. Aux termes de l’article 7 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, tous les enfants ont le droit d’acquérir la nationalité.

Honorables sénateurs, à mon avis, on ne peut pas justifier de priver nos enfants de la citoyenneté à laquelle ils ont dûment droit, du moment qu’ils répondent à toutes les autres exigences. Je dis que ce sont nos enfants, car lorsqu’ils viennent ici, nous les acceptons dans notre pays. Une fois que les portes du Canada s’ouvrent à un enfant, je pense qu’il devient notre enfant.

À titre de législateurs, il est de notre responsabilité de voir à ce que personne, surtout des enfants, ne passe entre les mailles du filet des lois sur la citoyenneté. Je me réjouis de l’amendement du sénateur Oh, car il vise la mise en place d’un nouveau processus dont pourront se servir les enfants pour faire une demande de citoyenneté.

Honorables sénateurs, on a beaucoup parlé du fait que ce projet de loi n’est pas censé corriger tout ce qui ne va pas dans la Loi sur la citoyenneté. C’est vrai. De nombreux problèmes doivent être réglés. Cela dit, je siège au Sénat depuis très longtemps. Quand j’étais encore une jeune sénatrice naïve et qu’un ministre ou un représentant du gouvernement disait qu’il allait se pencher sur un problème dans quelques années, je l’écoutais sagement et je patientais. Maintenant, avec l’âge — ma canne en fait foi —, je sais qu’il est possible que je ne sois plus au Sénat pour voir se concrétiser ce que l’on promet de régler dans quelques années.

Il ne me reste pas beaucoup d’années à passer au Sénat. Je vous garantis, honorables sénateurs, que le projet de loi sera bel et bien étudié. Je sais qu’il le sera. Toutefois, nous avons le pouvoir de dire maintenant à de jeunes enfants qu’ils peuvent faire partie de notre pays. Nous pouvons le faire dès maintenant. Pourquoi leur demanderait-on d’attendre encore 10 ans, alors qu’ils n’en auront plus besoin à ce moment-là? Ils auront déjà 18 ans, et j’aurai déjà quitté le Sénat.

Cet amendement abroge la limite d’âge de 18 ans prévue au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté. Il permettra aux enfants de faire une demande indépendamment de leurs parents, ce qui leur donnera la possibilité de devenir des citoyens de ce pays, même si leurs parents ne le peuvent pas. Le processus tient compte du fait qu’un enfant ne peut évidemment pas consentir à un processus judiciaire, comme l’obtention de la citoyenneté, de son propre chef. Pour ce faire, il stipule qu’un adulte devra encore présenter la demande en son nom. De plus, après l’âge de 14 ans, le demandeur mineur devra signer la demande — à moins qu’il en soit incapable en raison d’une déficience mentale —, ce qui assurera son consentement.

L’amendement offre même la possibilité aux enfants sans parents ni tuteurs de présenter une demande. Dans ces rares cas, l’amendement permet au ministre d’exempter un mineur de la condition relative à ce qu’une demande soit présentée par un adulte.

Honorables sénateurs, cet amendement nous remettra au diapason de nombreux autres pays. J’ai été envoyée du Canada pendant de nombreuses années, et l’une de mes attributions à ce titre était de voir ce que faisaient les pays aux vues semblables aux nôtres. Que font les pays avec qui nous travaillons? Laissez-moi vous dire quels sont les neuf pays qui ont accepté d’accorder la citoyenneté à des enfants. Il y en a bien d’autres, mais les neuf avec lesquels nous travaillons sont les suivants : la Suède, la Norvège, le Danemark, la France, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal, la Finlande et l’Islande.

Il y en a d’autres, mais neuf pays avec qui nous travaillons de très près aux Nations Unies ont accepté cette démarche. Nous serions le 10e pays. Nous ne sommes pas un chef de file en la matière, mais nous serions le 10e pays.

Honorables sénateurs, je vous le dis, tâchons d’être le 10e pays. Il y en a déjà neuf dans le monde occidental qui ont accepté de le faire. Si nous adoptons cet amendement, le Canada fera en sorte que son système s’applique à tous les mineurs.

Avant de conclure, j’aimerais présenter un autre cas qui montre avec éloquence pourquoi ces obstacles déraisonnables peuvent faire du tort aux enfants. Il s’agit du cas de Mohammed, un jeune réfugié. Sa mère et lui ont fui la Somalie. Je suis née en Ouganda, alors je connais bien les problèmes de la Somalie.

Son histoire est longue, mais lorsqu’il est finalement arrivé ici, après plusieurs années au Canada, sa mère ne pouvait toujours pas demander la citoyenneté parce qu’elle ne parlait pas anglais. Mohammed a essayé très fort d’obtenir la citoyenneté. Sa mère, qui était très traumatisée, n’arrivait tout simplement pas à être dispensée de l’exigence relative aux compétences linguistiques. Malheureusement, Mohammed doit aussi attendre d’avoir 18 ans, car il n’a pas pu obtenir de dispense.

(1710)

Honorables sénateurs, je ne peux pas m’attribuer le mérite de cet amendement. Je n’y avais même pas pensé. Lorsque le sénateur Oh m’a parlé de cet amendement, j’ai d’abord hésité; je n’y avais pas pensé. Comme certains d’entre vous le savent, je me fais du souci tous les jours au sujet des droits des enfants. Ce qui m’inquiète dans le cas présent, c’est que des enfants réfugiés de 12 ans sont détenus au pays.

Par conséquent, lorsque notre collègue, le sénateur Harder — que nous respectons tous beaucoup —, parle de l’intérêt supérieur de l’enfant, je dois dire que cela me fait grincer des dents. Le 30 mai 2016, au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, j’ai interrogé le ministre Goodale au sujet des enfants placés en détention. Il a répondu qu’il travaillerait avec ses fonctionnaires — et je crois vraiment qu’il était sincère — pour veiller à ce que le Canada trouve des solutions de rechange à la détention de ces enfants.

Au Sénat, je vous ai présenté à maintes reprises des exemples d’enfants placés en détention.

Puis-je avoir cinq minutes de plus?

L’honorable George Baker (Son Honneur le Président suppléant) : Cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président suppléant : D’accord.

La sénatrice Jaffer : Je ne vais pas décrire de nouveau la situation de ces enfants. Plus d’une année s’est écoulée, et le Canada garde toujours des enfants en détention dans ses établissements.

Le 1er mars dernier, le ministre Goodale, par l’entremise de notre leader au Sénat, a répondu à une question que j’avais encore posée sur les enfants en détention. Ce qui m’a vraiment mise en colère — et vous ne serez pas étonnés, car vous m’avez déjà entendue dire cela par le passé —, c’est que dans sa réponse, il a dit— j’attends toujours des explications à ce sujet, et le leader a promis d’en obtenir pour moi — qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être placé en détention. Sénateurs, j’ai déjà plaidé comme avocate devant des tribunaux de protection de l’enfance, devant des tribunaux pour adolescents et devant des tribunaux de la famille. Je lutte pour ce qu’on appelle « l’intérêt supérieur de l’enfant », mais jamais dans mes rêves les plus fous je n’aurais cru que, un jour, un ministre de notre grand pays affirmerait qu’il est dans l’intérêt supérieur d’un enfant d’être mis en détention.

C’est la raison pour laquelle je prends la parole aujourd’hui pour affirmer que nous ne pouvons plus dire : « Nous allons attendre que le gouvernement modifie la loi. Nous allons attendre la refonte de la Loi sur la citoyenneté. »

J’ai beaucoup de respect pour le sénateur Oh du fait qu’il présente cette motion d’amendement maintenant, car j’estime que le moment est bien choisi et que cet amendement devrait être joint aux autres amendements que nous allons envoyer. Neuf pays avec lesquels nous travaillons aux Nations Unies ont donné plus de pouvoir aux enfants. Pourquoi pas nous?