1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 114

Le mardi 2 mai 2017
L’honorable George J. Furey, Président

La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Suspension du débat

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’interviens pour parler de l’amendement proposé par le sénateur Lang au projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et une autre loi en conséquence. S’il est adopté, cet amendement permettrait à un juge de faire une déclaration ayant pour effet de révoquer la citoyenneté canadienne d’une personne ayant une double citoyenneté qui est reconnue coupable de terrorisme.

Honorable sénateurs, si je pensais un seul instant que l’amendement du sénateur Lang assurerait notre sécurité, je l’appuierais immédiatement.

Honorables sénateurs, pour mettre mes propos en contexte, j’ai vu de mes propres yeux la souffrance causée par le terrorisme. Je suis allée dans des camps de réfugiés et dans de nombreux endroits où j’ai été témoin de la destruction commise par le groupe armé État islamique et Daech. En fait, je vais travailler, en fin de semaine, avec des femmes du Pakistan, d’Irak et d’Afghanistan, des femmes qui interviennent spécialement dans ces régions pour convaincre les jeunes hommes de retourner dans leur collectivité pour y travailler plutôt que pour s’y attaquer. Je travaille en permanence sur la question du terrorisme, mais je crois que ce projet de loi n’en est pas un dans lequel il faut chercher à ajouter la question du terrorisme.

Ce que j’ai vu a considérablement changé ma vie. Depuis 16 ans, je m’efforce d’essayer de régler des questions liées au terrorisme. En travaillant sur cette question, j’ai vu beaucoup de choses. En particulier, je n’oublierai jamais une jeune femme qui avait perdu ses membres à cause de bombes à baril. J’ai tout le temps à l’esprit le terrorisme et la sécurité du Canada. Cependant, honorables sénateurs, cet amendement ne renforcera pas notre sécurité. Au contraire, je crois qu’il risque de la réduire.

En outre, cet amendement n’est pas conforme à l’esprit de ce projet de loi. Le projet de loi C-6 vise à nous ramener à un système dans lequel la citoyenneté ne peut être révoquée que pour des actes commis avant l’obtention de la citoyenneté. Il vise à restreindre à la période précédant l’octroi de la citoyenneté les actes qui sont des motifs de révocation de la citoyenneté canadienne.

L’amendement du sénateur Lang fait des actes commis après l’obtention de la citoyenneté des motifs de révocation de celle-ci pour ceux qui ont la double citoyenneté. Honorables sénateurs, c’est injuste.

Après l’obtention de la citoyenneté, une personne et sa famille font partie de notre grande famille canadienne. Autrement dit, si ces personnes commettent des actes criminels, elles sont punies en vertu de nos lois et elles en subissent les conséquences dans notre pays.

Avant de commencer, je voudrais dire combien ce débat est lié à notre rôle de sénateurs. En tant que sénateurs, nous venons ici avec de nombreuses préconceptions, expériences et opinions. Chacun de nous a ses propres préconceptions et idées quant aux moyens d’améliorer notre pays.

Honorables sénateurs, je me rappelle très bien du jour de mon arrivée ici et des nombreuses préconceptions que j’avais sur de nombreuses questions. Une fois ici, je me suis rapidement rendu compte que l’important, ce n’était pas Mobina Jaffer, l’important, c’était d’être une sénatrice de la Colombie-Britannique. Je devais considérer tous les problèmes en gardant la Constitution canadienne à l’esprit.

Honorables sénateurs, je peux vous dire que, chaque année, je dois surmonter mes propres objections et préconceptions pour faire respecter la Constitution. Nous devons examiner tous les projets de loi sous l’angle de la Constitution et non sous celui de nos préconceptions. Quand nous étudions des questions constitutionnelles, notre devoir est de mettre de côté nos préconceptions et nos idées, et de respecter les droits des Canadiens. Ce n’est plus de nous dont il est question, sénateurs, mais de la Constitution canadienne. Il s’agit du respect de la Constitution canadienne.

En tant que sénateurs, notre rôle est de faire en sorte que les lois soient conformes à la Constitution. Quand nous avons été saisis du projet de loi C-24 en 2014, nous avons été avertis à plusieurs reprises pendant le débat et au comité que ces dispositions enfreindraient les droits des Canadiens garantis par la Charte. Nous avons entendu alors comme nous l’entendons maintenant que le projet de loi C-24 contrevenait à plusieurs articles de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment les articles 6 et 15. Quand nous avons été saisis de ce projet de loi, nous aurions dû agir pour protéger les droits des Canadiens. Toutefois, le Sénat a, malgré tout, adopté le projet de loi C-24.

Honorables sénateurs, de 2006 à 2015, pendant les environ 10 années durant lesquelles j’ai été membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, nous avons été saisis de nombreux projets de loi et j’ai souvent demandé si ces projets de loi étaient constitutionnels. Étaient-ils conformes à la Charte? On me répondait qu’ils l’étaient. Depuis, plusieurs de ces projets de loi ont été rejetés par les tribunaux. Il a été déterminé qu’ils n’étaient pas conformes à la Charte.

Devant vous, aujourd’hui, je dis que nous manquons à notre responsabilité de parlementaires. Nous n’examinons pas les projets de loi dans la perspective que nous devrions adopter ici, celle de la Constitution. Nous avons confié cette tâche aux juges. Honorables sénateurs, la vérification de la conformité des projets de loi à la Charte relève de notre responsabilité.

En ce moment, cinq demandes de contrôle judiciaire ont été portées devant la Cour fédérale en ce qui a trait à des changements apportés par le projet de loi C-24. Il s’agit des affaires Saad Gaya, Saad Khalid, Hiva Alizadeh, Asad Ansari et Misbahuddin Ahmed.

Outre ces affaires, plusieurs barreaux ont fait part de leurs préoccupations concernant le projet de loi C-24, notamment l’Association du Barreau canadien, le Barreau du Québec, l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés et la British Columbia Civil Liberties Association. En fait, la demande de contrôle judiciaire dans l’affaire Ansari a été présentée par la British Columbia Civil Liberties Association et l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés. Ces affaires ont toutes été ajournées pour l’instant.

Étant donné que le projet de loi C-6 porte sur les éléments problématiques du projet de loi C-24, les parties litigantes dans ces affaires se battaient avec acharnement pour les droits de tous les Canadiens en attendant que cette assemblée rétablisse la constitutionnalité de la Loi sur la citoyenneté au moyen du projet de loi C-6. Si nous manquons une fois de plus à notre devoir, ces parties continueront de lutter dans les tribunaux pour les droits des Canadiens.

Honorables sénateurs, à mon avis, ce n’est pas correct. Notre fonction est de faire respecter la Constitution et non de laisser les tribunaux faire notre travail. C’est en grande partie pour cette raison que j’appuie le projet de loi C-6.

Je ne m’exprimerai pas longuement sur cela sujet, puisque j’y reviendrai plus tard. Toutefois, je crois que c’est un pas important vers la garantie que les lois sur la citoyenneté sont conformes à la Charte.

En rétablissant la constitutionnalité de la Loi sur la citoyenneté, nous pouvons soulager les tribunaux de ce fardeau et faire le travail pour lequel nous avons été envoyés ici plutôt que de laisser les tribunaux s’en charger. Nous comptons depuis trop longtemps sur les tribunaux pour assumer notre responsabilité de parlementaires.

Puisque tant de Canadiens comptent sur nous pour protéger les droits qui ont été enfreints par le projet de loi C-24, cet amendement va à l’encontre de l’esprit de ce que ce projet de loi accomplira. Contrairement au projet de loi C-6, cet amendement sera à l’origine d’autres problèmes constitutionnels.

Plus particulièrement, cet amendement introduit des mesures contraires à l’article 15 de la Charte de la même manière que l’avait fait le projet de loi C-24 en 2014. Il réintroduit la sanction de révocation de la citoyenneté pour les auteurs de certains crimes s’ils sont ressortissants de deux pays alors que les ressortissants d’un seul pays ne seront pas exposés à ce risque. Toutefois, selon cet amendement, c’est le juge et non le ministre qui fera la déclaration.

En vertu de l’article 15 de la Charte, la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, indépendamment de leur origine nationale. Autrement dit, tous les Canadiens doivent encourir les mêmes sanctions s’ils commettent les mêmes crimes.

Des experts d’un bout à l’autre du Canada ont indiqué qu’il était inconstitutionnel de créer un système dans lequel les ressortissants de deux pays peuvent voir leur citoyenneté révoquée, mais non les ressortissants d’un seul pays.

Audrey Macklin, qui a témoigné devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, a bien résumé la situation en disant ceci :

Comme toute autre démocratie libérale, le Canada croit à l’idée qu’il n’y a pas de citoyens de seconde zone. Une fois qu’on est devenu citoyen, on est l’égal de tous les autres citoyens. Si on fait peser la menace de la révocation sur une catégorie de citoyens et pas sur une autre, c’est évidemment de la discrimination fondée sur la question de savoir si on est ressortissant d’un ou de plusieurs pays.

Le projet de loi C-6 règle le problème du projet de loi C-24 en éliminant entièrement l’élément qui pose problème dans la Loi sur la citoyenneté.

(1500)

Cet amendement fera resurgir cette situation problématique. Confier à un juge plutôt qu’à un ministre le pouvoir de révocation de la citoyenneté ne change rien au fait que le système proposé n’est pas équitable. Les ressortissants de deux pays reconnus coupables de crimes de terrorisme encourront toujours une sanction supplémentaire.

Honorables sénateurs, les gens qui mènent les cinq contestations judiciaires contre le projet de loi C-24 attendent que nous changions la Loi sur la citoyenneté pour qu’elle respecte les droits prévus à l’article 15. En fait, chaque affaire mentionne explicitement l’article 15 en contestant la constitutionnalité de l’actuelle Loi sur la citoyenneté. Les parties litigantes dans ces affaires croient que, quelles que soient ses origines, un Canadien est un Canadien, point à la ligne. Dès lors, tous les Canadiens devraient être égaux devant la loi.

Honorables sénateurs, nous ne devrions pas laisser les tribunaux s’opposer pour nous à des lois qui menacent les droits et libertés des Canadiens. Il nous appartient, en tant que sénateurs, d’être les gardiens de la Constitution.

Quand le sénateur Lang a présenté cet amendement, il a affirmé que confier cette tâche à un juge plutôt qu’à un ministre ou à un représentant d’un ministre rendrait le système plus équitable. En réalité, cet amendement créerait plus de problèmes constitutionnels que ceux que contient le projet de loi C-24. Il introduit de tout nouveaux problèmes. Par exemple, cet amendement crée un système dans lequel il incombe aux personnes de prouver que leur peine ne doit pas inclure la révocation de leur citoyenneté. Un tel système serait manifestement une violation de l’articles 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte. Ensemble, ces deux dispositions de la Charte donnent à tous les Canadiens le droit de n’être ni condamnés ni sanctionnés si le procureur ne peut pas prouver leur culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. En ce qui concerne les considérations qui alourdiront une peine individuelle, cela signifie qu’il appartient à la Couronne de prouver que de telles sanctions sont justifiées. La personne se trouve aux prises avec une clause qui inverse la charge de la preuve, ce que la Cour suprême du Canada juge inconstitutionnel même dans les affaires où des peines supplémentaires sont imposées.

Par exemple, dans R. c. Pearson, le tribunal a jugé que, si « le ministère public fait valoir, quant à la peine, des circonstances aggravantes qui sont contestées, il doit en faire la preuve hors de tout doute raisonnable ».

À la lumière de ces jugements, le système que l’amendement propose enfreindrait le droit au doute raisonnable puisqu’il introduit une clause inconstitutionnelle qui inverse la charge de la preuve. Loin de soulager les tribunaux d’un fardeau, cet amendement créerait de nouveaux problèmes, en plus de ceux que les tribunaux et les plaideurs ont déjà à régler.

Honorables sénateurs, cet amendement crée même des problèmes qui vont au-delà des arguments constitutionnels. Quand il a présenté cet amendement, le sénateur Lang a indiqué qu’il visait à contrer la menace terroriste que nous subissons au Canada.

Honorables sénateurs, dans cette enceinte, il y a l’étape de la deuxième lecture, et cette étape a duré près d’un an. Ensuite, nous avons eu les audiences du comité et, lors de ces audiences, certains d’entre nous ont étudié le projet de loi. Honorables sénateurs, pendant les audiences au comité — si je ne m’abuse —, personne n’a dit que le fait de retirer la citoyenneté canadienne aux citoyens ayant la double citoyenneté assurerait la sécurité de notre pays.

D’ailleurs, les témoignages au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie ont montré que la révocation de la citoyenneté des citoyens ayant une double citoyenneté n’aurait même pas cette utilité. Pendant son témoignage devant le comité, le professeur Craig Forcese a donné trois bonnes raisons pour lesquelles ce genre de mesure est inefficace.

Tout d’abord, il n’y a pas de données empiriques montrant que les citoyens ayant la double citoyenneté représentent une plus grande menace pour le Canada que les citoyens d’un seul pays. Cette discrimination n’a aucun fondement.

Ensuite, le Canada a créé plusieurs programmes pour éviter que des actes terroristes soient commis à l’étranger par des Canadiens. Sénateurs, ces criminels restent dangereux hors du Canada et peuvent nuire à nos intérêts même après leur expulsion. En expulsant ces personnes, nous ne ferions qu’empirer la situation. Nombre d’entre elles veulent se livrer à des actes terroristes à l’étranger. Si nous nous contentons de les expulser, nous risquons de précipiter la réalisation de leurs plans en les renvoyant dans un pays où elles se rendaient déjà. Nous ouvrirons également notre pays aux personnes reconnues coupables de terrorisme qui ont la double citoyenneté.

Honorables sénateurs, voici un exemple. Si une personne qui a la double nationalité jordanienne et canadienne commettait un acte de terrorisme en Jordanie, et si la Jordanie la privait de sa citoyenneté, cette personne serait envoyée au Canada conformément à notre loi. Nous renverrions des gens dans leur pays et nos ressortissants reviendraient au Canada. Est-ce bien le type de régime que nous souhaitons, un régime qui ouvrirait notre pays à des terroristes reconnus coupables à l’étranger et qui reviendraient chez nous?

Troisièmement, M. Forcese a dit que la révocation de la citoyenneté de personnes ayant une double nationalité ne peut que nuire à notre capacité de lutter contre le terrorisme. Je cite le témoin :

[…] ce genre de discours qui consiste à dire que ces personnes ne sont pas tout à fait comme nous risque de nuire grandement aux efforts d’intégration et de lutte contre la radicalisation qui devraient être au cœur de nos démarches visant à éviter la radicalisation menant à la violence.

[…] nous risquons, en ciblant cette sous-catégorie de la population pour contrer ce risque particulier, de faire de la propagande au détriment de nos objectifs ultimes de sécurité.

De plus, en violant les droits à l’égalité de nos concitoyens qui ont une double nationalité, nous leur faisons sentir qu’ils ne sont pas les bienvenus ici. Nous créons deux catégories de citoyens. Comment pouvons-nous leur faire cela et leur demander ensuite de nous aider à atteindre nos objectifs les plus importants en matière de sécurité, comme en matière de lutte contre la radicalisation?

Loin d’assurer aux Canadiens et au Canada une plus grande sécurité, l’amendement proposé aurait l’effet inverse. Nous ne favorisons pas la sécurité de notre pays si nous devenons un exportateur d’instabilité. En outre, notre pays est doté d’un système qui lui permet d’affronter les plus grandes menaces. Notre système de justice pénale permet d’envoyer en prison ceux qui cherchent à nuire à notre pays et de leur faire subir les rigueurs de la loi.

Lorsque nous assumons la responsabilité des nôtres, nous savons qu’on les traitera de façon à garantir la sécurité des Canadiens.

Honorables sénateurs, le visage du terrorisme est répugnant. J’ai rendu visite récemment à certaines des familles dont des membres ont été blessés ou tués lors de l’attaque perpétrée à Québec. Je suis allée chez la mère, récemment arrivée au Canada, d’une personne qui a été tuée. Cette femme m’a expliqué comment, chaque soir, elle avait les yeux remplis d’amour lorsque son fils rentrait de son travail d’enseignant à Québec. Les réalisations de son fils la comblaient de fierté et de joie. Pourtant, un jour, il a été massacré au moment où il se livrait à une activité des plus innocentes, la prière. Cette mère m’a dit qu’elle a maintenant les yeux pleins de larmes. J’ai été en mesure de le constater. Elle est broyée par la douleur et regarde fixement ses beaux petits-enfants, désormais orphelins.

Voilà le visage du terrorisme. Ce n’est pas là le projet de loi qui va régler le problème. Honorables sénateurs, je sais que nous serons saisis de bien des projets de loi et amendements qui aideront à garantir la sécurité de notre société.

Puis-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président : Avant de le demander, madame la sénatrice Jaffer, j’ai une brève annonce à faire.

Honorables sénateurs, on vient de m’informer qu’il y a une importante fuite de gaz au centre-ville, près du 131, rue Queen. Il ne semble pas que cela ait quelque conséquence pour nous, sur la Colline, mais on a demandé pour l’instant d’évacuer l’édifice Victoria, l’édifice Chambers et le 56, rue Sparks, ce qui perturbera, bien entendu, des séances de comité et un grand nombre de vos bureaux. Je tiens simplement à informer les sénateurs. L’évacuation n’a pas été demandée, ni ici ni à proximité de la Colline, mais, s’il y avait du nouveau nous serions immédiatement prévenus.

Les sénateurs doivent savoir que leurs bureaux, s’ils se trouvent dans l’un ou l’autre de ces édifices, sont en voie d’évacuation. De plus, si des comités siègent, les services de soutien dans ces édifices seront également perturbés.

La sénatrice Jaffer aura droit à cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Madame la sénatrice Jaffer?

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, comme je viens de le dire, il y aura beaucoup de projets de loi qui nous permettront d’examiner les problèmes de terrorisme, mais le projet de loi C-6 n’est pas du nombre. Si nous adoptons ce projet de loi avec l’amendement que le sénateur Lang propose, nous dresserons des Canadiens contre d’autres Canadiens, les Canadiens se méfieront les uns des autres et ils perdront confiance les uns dans les autres, mais cela ne garantira pas notre sécurité.

(1510)

Honorables sénateurs, je vous prie instamment de vous rappeler que le rôle des sénateurs est de renforcer le tissu de notre société. Je vous demande donc de ne pas appuyer l’amendement que le sénateur Lang propose d’apporter au projet de loi C-6. Merci beaucoup.

L’honorable Jane Cordy : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Jaffer : Oui.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup, et merci de votre excellent discours, dans lequel vous avez dit que tous les citoyens sont égaux. Vous avez cité un juge qui aurait fait cette affirmation. Ma première question est donc la suivante : croyez-vous que tous les Canadiens sans exception doivent être considérés comme des Canadiens? Deuxièmement, croyez-vous que l’amendement proposé par le sénateur Lang a pour effet de créer deux catégories de citoyens, ceux qui sont nés au Canada et ceux qui sont nés à l’étranger et ont une double nationalité?

La sénatrice Jaffer : Comme tous les sénateurs le savent, je suis une nouvelle venue au Canada. Lorsque je suis arrivée ici, l’une des choses les plus extraordinaires pour moi a été d’apprendre que, dès que j’obtiendrais la citoyenneté, j’appartiendrais pour toujours à ce pays merveilleux. Nous avons été chassés de l’Ouganda, même si mon père et ma mère y étaient nés. Mon père me disait : « Tu ne seras jamais chassée de ce pays. Une fois que tu auras obtenu la citoyenneté, ce pays et ses habitants seront toujours là pour toi. » Je considère mon certificat de citoyenneté comme un engagement réciproque très sérieux entre les Canadiens et moi.

Quant à votre question sur la création de deux catégories de citoyens, il y a là quelque chose d’injuste. Celui qui est né ici et commet un acte de terrorisme doit évidemment subir les rigueurs de la loi, mais cela s’arrête là. Celui qui n’est pas né ici et n’a qu’une nationalité, qui n’en a donc pas deux, on ne pourra pas le priver de sa citoyenneté parce qu’il n’a pas une double nationalité. Quant à celui qui est né ici, dont le père est né ici, mais qui, à cause des règles d’un autre pays est automatiquement citoyen de cet autre pays, même s’il ne l’a pas demandé, même s’il est né ici, même si sa famille est canadienne, il peut être renvoyé dans ce pays. Voilà ce que ce projet de loi a d’injuste.

L’honorable Daniel Lang : Je voudrais faire valoir un ou deux points. D’abord, étant donné que nous débattons constamment de cette question, les Canadiens devraient savoir qu’il se publie de plus en plus de statistiques.

En ce moment, il y a 17 résidents permanents, c’est-à-dire des personnes qui possèdent le passeport d’un autre pays, qui ont demandé à venir au Canada, qui ont été acceptées, ont franchi la première étape pour devenir des citoyens canadiens et sont devenues des résidents permanents… Il y a donc 17 de ces résidents permanents qui, en ce moment même, se livrent à des activités terroristes ailleurs dans le monde.

De surcroît, nous avons 54…

Le sénateur Harder : Qui dit cela?

Le sénateur Lang : Nous avons 54 ressortissants canadiens ayant une double nationalité qui se livrent aussi à des activités terroristes. Voici ce que je demande à l’honorable sénatrice : elle parle de la Constitution et soutient qu’elle ne peut pas appuyer la révocation de la citoyenneté des Canadiens ayant une double nationalité qui commettent le plus odieux des crimes contre l’humanité — le terrorisme —, et elle appuie par ailleurs le principe voulant que nous, que nos tribunaux, puissions révoquer la citoyenneté d’un citoyen ayant une double nationalité qui est entré frauduleusement au Canada. Comment peut-elle dire que la révocation est inconstitutionnelle dans un cas et constitutionnelle dans l’autre?

La sénatrice Jaffer : Sénateur Lang, je vous remercie de votre question. Il y a deux situations distinctes. Quand une personne qui présente une demande de citoyenneté fait une fausse déclaration en répondant à une question afin de savoir si elles ont commis des actes de terrorisme ou de fausse représentation, il s’agit d’un acte préalable à la citoyenneté. Si quelqu’un qui veut devenir citoyen fait de fausses déclarations qui lui permettent d’accéder à la citoyenneté, j’estime qu’il nous a trompés.

Puis-je finir de répondre à la question?

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Une voix : Non.

Son Honneur le Président : Je regrette, sénatrice Jaffer, mais la réponse est non. Le sénateur Runciman a la parole.