1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 221

Le jeudi 14 juin 2018
L’honorable George J. Furey, Président

Projet de loi sur le cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique

Troisième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-211, Loi concernant un cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique.

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Je voudrais féliciter M. Doherty, l’auteur du projet de loi, pour l’excellent travail qu’il a accompli, ainsi que le sénateur Housakos, qui parraine le projet de loi, et la sénatrice Bernard, qui agit à titre de porte-parole.

Je voudrais commencer par dire que j’appuie l’esprit de ce projet de loi. L’état de stress post-traumatique est un problème répandu qui touche 7 ou 8 Canadiens sur 100 à un moment ou un autre de leur vie.

Le risque de souffrir de ce trouble est multiplié parmi les Canadiens dont l’environnement de travail est très stressant, comme c’est le cas pour les membres des Forces armées canadiennes ou de la Gendarmerie royale du Canada ainsi que pour les premiers intervenants, entre autres. Chaque jour, ces gens revêtent leur uniforme pour protéger, servir et soigner les Canadiens. Ils savent qu’ils seront témoins de tragédies tous les jours. Les Canadiens applaudissent ces gens pour leur travail héroïque, mais ceux-ci ne sont pas plus immunisés que nous contre le stress post-traumatique. Pour aider tout le monde à comprendre jusqu’à quel point les problèmes de santé mentale peuvent affecter durement ces héros, j’aimerais vous raconter une histoire.

Natalie Harris travaillait comme ambulancière paramédicale depuis 13 ans. Elle avait la réputation d’être parmi les personnes les plus empathiques et les plus dévouées dans son domaine. Elle était connue pour sa facilité à établir des relations avec ses patients. Elle leur tenait la main et les réconfortait alors qu’ils étaient en route vers l’hôpital. Lorsque Natalie a été envoyée sur les lieux d’un double meurtre, en 2012, l’expérience qu’elle a vécue sur place, ce jour-là, lui a laissé des séquelles permanentes que l’on appelle l’état de stress post-traumatique.

Toutefois, Natalie n’était pas consciente qu’elle était atteinte de ce trouble. Elle croyait, en fait, qu’elle allait bien et ne voulait pas admettre que son état n’était pas normal. Elle adorait son travail et savait qu’elle serait obligée de le quitter si jamais elle éprouvait un problème de santé mentale. Alors, elle a continué de faire ce travail épuisant sans aucune forme d’aide. Un jour, Natalie a fini par se rendre compte que le fardeau était trop lourd à porter, et elle a souffert d’une grave surdose de drogue, conséquence de l’état de stress post-traumatique dont elle s’efforçait de combattre les symptômes. Heureusement, Natalie a survécu à la surdose, mais beaucoup d’autres n’ont pas eu cette chance. Selon le Tema Conter Memorial Trust, un total de 68 premiers intervenants se sont suicidés en 2016 à cause de l’état de stress post-traumatique.

C’est ce genre d’histoires et de statistiques qui ont mené au projet de loi C-211. L’objectif est de mettre en place un cadre national afin d’empêcher que des histoires comme celle de Natalie se répètent. En faisant intervenir les ministres, les représentants et les intervenants des provinces et des territoires de partout au pays, le projet de loi C-211 lance une importante discussion sur ce que devrait être une approche nationale de prévention de l’état de stress post-traumatique.

Le projet de loi permet l’établissement d’une terminologie, de diagnostics et de soins uniformes afin que tous les Canadiens aient accès à des évaluations fondées sur des données et à des traitements bien plus efficaces. Il s’agit, à l’évidence, d’un objectif louable. Un nombre incalculable de Canadiens sont atteints de troubles du stress post-traumatique et ils ont droit à un cadre robuste pour les aider à améliorer leur santé mentale. Cependant, il faut nous assurer que le projet de loi qui sera adopté soit le plus inclusif possible dans sa façon d’aborder l’état de stress post-traumatique.

C’est ce que souhaite l’auteur du projet de loi. Lorsque Todd Doherty est venu témoigner au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, il a dit qu’il voulait créer un cadre relatif à l’état de stress post-traumatique qui couvrirait le plus grand nombre possible de Canadiens. Son objectif est que le projet de loi C-211 soit le plus inclusif possible.

Malheureusement, certaines interprétations du projet de loi C-211 pourraient empêcher que ce soit le cas. Lorsque le projet de loi était à l’étude au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, plusieurs sénateurs ont soulevé différents problèmes qui pourraient facilement mener à l’exclusion de différents groupes du cadre national relatif à l’état de stress post-traumatique. Tous ces problèmes ont été mentionnés dans le rapport du comité et je voudrais en aborder quelques-uns aujourd’hui.

Soyons clairs, je ne crois pas que ces problèmes doivent être réglés au moyen d’amendements. Le projet de loi C-211 offre suffisamment de souplesse, car il n’instaure pas directement le cadre. Il invite simplement le ministre, les fonctionnaires et les intervenants à entamer des discussions sur ce que le cadre devrait être. Cependant, je crois que nous devrions exiger que la conférence sur l’état de stress post-traumatique tienne compte de ces questions, car ce sont ses participants qui seront responsables de créer le cadre final.

D’abord, il convient de souligner que le préambule du projet de loi C-211 laisse entendre que le cadre devrait porter uniquement sur les cas d’état de stress post-traumatique découlant d’activités professionnelles. Autrement dit, une personne qui se retrouverait dans un état de stress post-traumatique pour d’autres raisons pourrait être exclue du cadre fédéral. Cela n’a tout simplement pas de sens. Dans d’innombrables cas, le stress post-traumatique est causé par des choses qui n’ont rien à voir avec les responsabilités professionnelles de la personne. L’inconduite et le harcèlement sexuels sont de bons exemples.

Pour mettre les choses en contexte, 90 p. 100 des victimes d’agression sexuelle vont manifester des symptômes qui pourraient aboutir à des problèmes de santé mentale, plus particulièrement un état de stress post-traumatique. Le problème est particulièrement grave dans des organisations comme les Forces armées canadiennes et la GRC. Nous savons déjà que ces deux organisations sont aux prises avec un problème d’inconduite sexuelle qui fait d’innombrables victimes partout au Canada. Ne pas tenir compte de ces cas serait négliger une des principales causes de stress post-traumatique chez les personnes qui servent et protègent le Canada au quotidien.

Ensuite, nous devons veiller à ce que le cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique tienne compte du personnel infirmier. Le personnel infirmier s’acquitte de certaines des tâches les plus difficiles et les plus épuisantes dans le secteur des soins de santé. Il travaille par exemple dans les salles d’urgence, les unités de traumatologie, les unités de soins palliatifs, les salles d’opération et les unités de psychiatrie. Les infirmières et infirmiers sont aux premières lignes de la lutte contre l’épidémie d’opioïdes au Canada et sont souvent les premiers à prendre le relais des ambulanciers paramédicaux qui arrivent avec des patients en état critique.

Malheureusement, la possibilité que ces personnes soient exclues du cadre fédéral relatif à l’état de stress post-traumatique est bien réelle. À l’heure actuelle, le préambule du projet de loi ne met l’accent que sur un nombre limité de domaines. Pour l’instant, seuls figurent dans le projet de loi C-211 les premiers répondants, les pompiers, les militaires, les agents correctionnels et les membres de la GRC. Honorables sénateurs, ce cadre doit également englober d’autres groupes.

Le travail que le personnel infirmier effectue est tout aussi difficile et héroïque que celui qui est réalisé par les militaires, les policiers, les agents correctionnels et les premiers répondants. Par conséquent, le personnel infirmier est tout aussi souvent atteint de l’état de stress post-traumatique que ces gens. Selon le Syndicat des infirmiers et des infirmières du Manitoba, un membre du personnel infirmier sur quatre éprouve des symptômes liés à l’état de stress post-traumatique. Les membres du personnel infirmier sont aussi extrêmement vulnérables au stress post-traumatique causé par le harcèlement et l’inconduite sexuelle au travail, puisque, en 2017, 61 p. 100 d’entre eux ont signalé avoir été victimes de harcèlement, de mauvais traitements ou d’agression au travail.

Le fait d’exclure du champ d’application du projet de loi C-211 des gens qui travaillent dans des domaines très stressants serait une grave erreur. Pour la corriger, il n’est pas nécessaire d’adopter un amendement. Comme je l’ai déjà dit, le préambule du projet de loi dresse la liste de diverses professions en précisant que ces groupes sont « particulièrement » vulnérables à l’état de stress post-traumatique.

Autrement dit, compte tenu du préambule, on pourrait supposer que le projet de loi vise tous les groupes qui sont à risque, y compris le personnel infirmier. Si on se fie à cette interprétation, le projet de loi pourrait être aussi inclusif que le souhaitait son auteur, M. Todd Doherty.

Enfin, j’aimerais parler du fait que le projet de loi est axé tout particulièrement sur l’état de stress post-traumatique.

Il n’est pas étonnant que l’état de stress post-traumatique ait été choisi comme thème central du projet de loi C-211. Cet état figure de loin en tête de liste des problèmes de santé mentale éprouvés le plus souvent par les gens qui occupent un emploi très stressant. Cependant, il est important de souligner que c’est loin d’être le seul. Les personnes qui ont un emploi très stressant éprouvent des problèmes liés à leur travail, comme la dépression, les troubles anxieux, le trouble de l’adaptation et tout un éventail de troubles liés à la consommation de substances. En mettant l’accent exclusivement sur l’état de stress post-traumatique, on tourne le dos à un nombre considérable de Canadiens qui ont sérieusement besoin d’aide.

Cela dit, il est possible de tenir compte de ces personnes dans le cadre du projet de loi C-211 sans proposer d’amendement. Une partie du mandat confié à la conférence sur l’état de stress post-traumatique est de créer une liste de termes cohérents, qui pourront être utilisés aux fins du cadre fédéral.

J’exhorte les participants de la conférence à envisager l’utilisation du terme « blessure de stress opérationnel ». Ce terme offre une foule d’avantages indéniables et il aide les psychologues et les militaires qui l’utilisent depuis les 17 dernières années. Ce terme souligne qu’un vaste éventail de diagnostics cliniques peuvent être liés aux traumatismes vécus au travail.

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De plus, en se servant du mot « blessure » pour décrire l’état, on lui confère la même légitimité qu’aux blessures physiques et cela joue un rôle concret dans la réduction des préjugés associés à la santé mentale.

Enfin, l’expression a été largement adoptée par les forces armées et les associations de psychologie dans l’ensemble du Canada, ce qui signifie que nous pouvons puiser dans une grande gamme d’expériences concernant l’expression.

Bref, l’utilisation de cette expression ne peut que renforcer le cadre national relatif à l’état de stress post-traumatique et notre compréhension de l’éventail complet des conditions associées aux milieux de travail stressants.

Honorables sénateurs, je tiens à souligner de nouveau que je ne demande pas à ce que le projet de loi C-211 soit modifié. Même si je crois qu’il est important que le projet de loi soit aussi inclusif que possible, je ne pense pas qu’un amendement est nécessaire pour en régler les problèmes. Il est important de ne pas oublier que le projet de loi ne crée pas un cadre fédéral par lui-même.

Il y aura plus de travail à faire pour inclure des groupes comme les infirmières et les infirmiers.

Au lieu de cela, une bonne part de la responsabilité reviendra à la conférence sur l’état de stress post-traumatique que le projet de loi établira. En choisissant de soulever ces questions avant la conférence au lieu de modifier le projet de loi C-211, nous pouvons faire en sorte que les Canadiens profitent d’un cadre fédéral réellement inclusif relatif à l’état de stress post-traumatique sans plus de retard.

Honorables sénateurs, je souhaite d’abord remercier M. Todd Doherty et le sénateur Housakos d’avoir présenté le projet de loi au Sénat. Je m’en voudrais toutefois de ne pas remercier aussi aujourd’hui notre collègue, le sénateur Roméo Dallaire. Le sénateur Dallaire nous a appris beaucoup de choses. Je travaille toujours avec le sénateur Dallaire sur la question de l’Ouganda et, lorsque je parle de l’état de stress post-traumatique, je pense souvent à la souffrance qu’il vit régulièrement. Il a été un sénateur apprécié et, comme je l’ai constaté pendant les nombreuses soirées où j’ai travaillé avec lui, il souffre énormément de l’état de stress post-traumatique. Il y a beaucoup de Canadiens qui vivent cette situation, et nous devons nous porter à leur défense. Merci beaucoup.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)