1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 232

Le mardi 2 octobre 2018
L’honorable George J. Furey, Président

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à révoquer la citoyenneté honoraire accordée à
Aung San Suu Kyi

L’honorable Terry M. Mercer (leader adjoint des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au nom de notre collègue, la sénatrice Jaffer, qui souhaitait s’exprimer à propos de la motion.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion visant à révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi le 17 octobre 2007.

J’aimerais remercier ma collègue la sénatrice Omidvar des efforts inlassables qu’elle a déployés et du leadership dont elle a fait preuve pour proposer cette motion au Sénat.

Première femme à recevoir la citoyenneté honoraire du Canada, Mme Suu Kyi a été louangée pendant des années comme héroïne de la défense des droits de la personne. Elle a notamment enduré des années de détention à domicile pour son militantisme visant à promouvoir la démocratie sous une dictature militaire violente. Toutefois, la dirigeante birmane n’a pas condamné la campagne militaire qui a déplacé plus de 700 000 Rohingyas vers le pays voisin, le Bangladesh.

Malheureusement, ce n’est pas la première fois que Mme Suu Kyi ne défend pas les valeurs qu’elle prétend être les siennes. En 2007, lorsqu’elle a accepté son prix Nobel de la paix, qui lui avait été décerné en 1991 alors qu’elle était assignée à domicile, Mme Suu Kyi a déclaré :

Notre principal objectif devrait être de créer un monde où on ne sait pas ce que c’est que d’être déplacé, sans foyer et désespéré, un monde dont chaque région est un véritable sanctuaire où les habitants sont libres et capables de vivre en paix.

Comment se fait-il alors, honorables sénateurs, que Mme Suu Kyi hésite autant à s’exprimer directement sur les Rohingyas et leur droit à la citoyenneté sur leurs terres ancestrales? Pourquoi Mme Suu Kyi n’a-t-elle rien fait pour favoriser la paix et la justice pour les Rohingyas du Myanmar? Ne s’agit-il pas des mêmes injustices contre lesquelles Mme Suu Kyi s’est battue lorsqu’elle était en détention? Nous nous sommes tous battus pour sa libération et, maintenant, elle demeure de glace.

En refusant de reconnaître son pouvoir et sa capacité à mettre fin au génocide qui se répand partout au Myanmar, Mme Suu Kyi commet un affront à son engagement envers les droits de la personne et les valeurs démocratiques. J’ai ardemment soutenu Mme Suu Kyi lorsqu’on lui a accordé la citoyenneté canadienne honoraire et lorsqu’elle a reçu le prix Nobel. Je croyais qu’elle allait changer la vie des gens au Myanmar. Il est impardonnable que Mme Suu Kyi n’ait pas respecté ses promesses. La citoyenneté canadienne honoraire est un privilège très spécial que le Canada accorde aux personnes qui aident l’humanité, et non à celles qui la détruisent.

(1450)

Le point a) de la motion dont nous sommes saisis indique que le Sénat doit :

accueill[ir] les conclusions de la mission d’établissement des faits des Nations Unies sur le Myanmar selon lesquelles les forces militaires birmanes ont perpétré des crimes contre l’humanité à l’endroit des Rohingyas et d’autres minorités ethniques […]

Lorsque j’ai commencé à écrire et à m’exprimer contre la persécution des Rohingyas au début de 2014, on les considérait comme le peuple que le monde a oublié. La triste réalité, c’est qu’ils ont conservé ce titre.

Lorsque j’entends dire que Mme Suu Kyi, lauréate d’un prix Nobel de la paix et l’une des dirigeantes de son pays, refuse de dénoncer les atrocités commises dans son pays, je pense à Rajuma. Rajuma est une jeune femme rohingya qui a vécu une situation tellement horrible que c’est tout simplement incompréhensible.

Rajuma et des centaines de femmes ont dû se tenir debout dans une rivière sous la menace d’armes à feu, et on leur a ordonné de ne pas bouger. Elle avait de l’eau jusqu’à la poitrine et serrait son petit garçon tandis que son village au Myanmar brûlait derrière elle, puis les soldats se sont lentement approchés d’elle :

« Toi », ont dit les soldats en la pointant.

Elle se figea.

« Toi! »

Elle resserra son étreinte autour de son bébé.

Les moments qui suivirent furent violents et embrouillés, car les soldats ont matraqué Rajuma dans le visage, ils lui ont arraché des mains son enfant qui hurlait, puis ils l’ont jeté dans le feu. Elle a ensuite été traînée dans une maison, puis elle a subi un viol collectif.

À la fin de la journée, elle s’est enfuie par les champs, nue et couverte de sang. Elle était seule; elle avait perdu son fils, sa mère, ses deux sœurs et son jeune frère. Ils avaient tous été liquidés devant ses yeux […]

Rajuma est une musulmane rohingya. Les musulmans rohingyas comptent parmi les groupes ethniques les plus persécutés de la planète. Rajuma passe maintenant ses journées à errer dans un camp de réfugiés au Bangladesh, complètement tétanisée.

L’histoire de Rajuma est semblable à celle d’un nombre incalculable d’hommes et de femmes rohingyas qui ont souffert de façon insensée des exactions d’un régime dictatorial.

Honorables sénateurs, retirer à Aung San Suu Kyi sa citoyenneté canadienne honoraire est une étape nécessaire si on veut dénoncer le génocide qui se déroule sous ses yeux. Cependant, lui retirer sa citoyenneté n’est qu’un geste symbolique face à son incapacité à dénoncer les atrocités commises dans son pays. Ce n’est pas une solution à long terme à la crise qui touche les Rohingyas. Cela ne permet pas d’entamer la réconciliation avec les Rohingyas ni la reconstruction du Myanmar.

Honorables sénateurs, je vous implore d’adopter cette motion et d’inciter le gouvernement canadien à en faire plus pour aider le peuple rohingya. Nous devons agir en leaders. C’est ainsi qu’on exerce un leadership. Il est temps d’agir.