2e Session, 43e Législature
Volume 152, Numéro 27

Le jeudi 11 février 2021
L’honorable Pierrette Ringuette, Présidente intérimaire

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Petitclerc, appuyée par l’honorable sénateur Gold, c.p., tendant à la troisième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), tel que modifié.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je propose un amendement.

Je ne saurais dire à quel point je me sens privilégiée de prendre la parole aujourd’hui pour vous encourager tous à appuyer mon amendement proposant que les données fondées sur la race de toutes les personnes qui demandent et reçoivent l’aide médicale à mourir soient systématiquement collectées par le gouvernement du Canada.

L’amendement est véritablement l’aboutissement de décennies de travail et repose sur des principes de véritable justice et équité raciale. Honorables sénateurs, je suis consciente que la collecte de données est inadéquate pour d’autres groupes, mais les données fondées sur la race sont totalement inexistantes. Voilà pourquoi l’amendement que je propose porte sur la collecte de données fondées sur la race.

Honorables sénateurs, nous avons passé la dernière année à parler du racisme systémique et des injustices dont sont victimes les personnes racialisées. En étudiant le projet de loi C-7, j’ai relevé un cas où la race n’a pas été prise en considération, et je me suis dit qu’il nous incombait d’agir, car il s’agit d’un projet de loi très important.

Voici ce qu’a dit le sénateur Harder en comité :

J’ai une autre question, qui porte sur la collecte de données. Il n’est pas rare que, dans des projets de loi comme celui-ci, il soit question de modifications réglementaires ou de procédures réglementaires qui permettraient la collecte de données pertinentes pour l’examen de la question visée par le projet de loi.

Êtes-vous en train de dire que vous n’avez pas la capacité de recueillir les données que le projet de loi C-14 devait supposément permettre de recueillir pour éclairer l’examen de cette question à l’avenir? Si tel est le cas, le gouvernement envisagerait-il un amendement pour que ces données soient recueillies au moyen d’un cadre réglementaire?

Honorables sénateurs, c’est pourquoi l’intervention du sénateur Harder m’a incité à proposer une modification réglementaire, comme je l’ai fait. Mon amendement garantira la collecte de données sur les personnes racialisées, qui représentent un quart de la population.

En ce qui concerne le sous-alinéa 241.31(3)a)(i) de la Division B, la collecte de renseignements sur les personnes qui demandent et reçoivent de l’aide médicale à mourir sera élargie afin d’inclure la race d’une personne.

Grâce à l’alinéa 241.31(3)b) de l’amendement, le projet de loi inclura l’analyse et l’interprétation de ces renseignements, notamment dans le but de cerner les inégalités fondées sur la race et les secteurs où ces inégalités recoupent d’autres formes d’inégalité systémique dans le domaine de l’aide médicale à mourir.

S’il est adopté par l’autre endroit, l’amendement instaurera en fin de compte une approche systémique pour lutter contre le racisme et les effets cumulatifs des inégalités fondées sur la race et d’autres inégalités systématiques.

Honorables sénateurs, quand il s’agit d’expliquer pourquoi il faut examiner les points de rencontre et d’influence entre la race et les inégalités systémiques, je crois qu’une citation de la professeure Laverne Jacobs, l’une des quelque 80 témoins qui ont participé à notre étude préalable, l’explique parfaitement. Elle dit ceci :

La stigmatisation raciale est ancrée dans le racisme contre les Noirs […]

Comme les structures sociales ont été bâties sur des interprétations faussées de l’existence sociale, l’inégalité n’est pas seulement un ensemble de circonstances individuelles, mais un réseau beaucoup plus vaste de discrimination systémique.

Comme nous le savons, le gouvernement actuel est conscient des enjeux que pose cet énorme manque d’information. Je suis très reconnaissante au ministre Lametti et aux fonctionnaires des ministères de la Justice et de la Santé d’avoir admis très franchement qu’on ne recueillait aucune donnée fondée sur la race. Vous savez, chers sénateurs, qu’on utilise l’analyse comparative entre les sexes plus pour s’assurer que les mesures législatives et les politiques tiennent bien compte de l’expérience que vivent les femmes, les hommes et les personnes ayant différentes identités de genre, ainsi que d’autres facteurs comme l’âge, l’orientation sexuelle, l’invalidité, la race, l’éducation, la langue, la géographie, la culture et le revenu.

En réalité, le gouvernement s’engage publiquement depuis 2016 à recueillir ces données dans le cadre de son analyse comparative entre les sexes plus. Quand nous avons reçu une copie des résultats de cette analyse afin de comprendre les répercussions du projet de loi C-7 sur les communautés racialisées, ces dernières n’avaient pas été prises en compte. J’avais demandé au ministre si les communautés racialisées avaient été prises en considération. Initialement, il avait répondu par l’affirmative. Toutefois, quand il a reçu le rapport, il a été franc en confirmant que ces communautés n’avaient pas fait partie de l’analyse.

Cet amendement a uniquement pour but de faire en sorte que le gouvernement respecte son engagement afin que les droits des personnes racialisées soient aussi respectés. Après tout, elles représentent près du quart de la population canadienne.

Le gouvernement a déjà accès depuis longtemps à des cadres qui lui permettraient de recueillir facilement des statistiques sur ces communautés d’un bout à l’autre du pays. L’Institut canadien d’information sur la santé a diffusé ceci en juillet 2020 :

Le manque de données fondées sur la race dans le secteur de la santé au Canada complique la mesure des inégalités en santé et la découverte des iniquités qui pourraient découler du racisme et de la discrimination.

L’Institut canadien d’information sur la santé propose des normes pancanadiennes de collecte des données fondées sur la race. De plus, en 2019, le gouvernement avait publié son propre document intitulé Construire une fondation pour le changement : La stratégie canadienne de lutte contre le racisme 2019-2022. Dans la section « Sensibiliser et changer les attitudes », on peut lire que l’un des meilleurs moyens d’y parvenir est d’augmenter la quantité de données et d’éléments d’information fiables.

Honorables sénateurs, cela fait longtemps que nous savons quelle est la voie à suivre, et aujourd’hui, nous avons une occasion sans précédent de dire au gouvernement que le temps du changement, c’est maintenant, pas demain ni l’année prochaine.

Comme je l’ai déjà dit, une personne sur quatre n’a pas été prise en compte dans la collecte de données. Même si nous sommes tous d’accord pour dire que c’est inacceptable, nous ne savons pas tous ce que c’est que d’être cette quatrième personne.

Très souvent, dans ma vie, il m’est arrivé de me retrouver au milieu de personnes auxquelles je ne ressemblais pas, dont l’accent était différent du mien et même les vêtements étaient différents des miens. Même si je suis très fière de qui je suis, je dois dire que c’est le genre de situation où on peut se sentir très seul.

Tout au long de ma vie, j’ai été victime de manifestations de racisme. Je ne me rappelle vraiment pas le nombre de fois où on m’a dit, alors que j’arrivais dans la salle du Sénat, que seuls les sénateurs étaient autorisés à y entrer.

(1520)

Je suis très heureuse de représenter la province de la Colombie-Britannique au Sénat et je serai éternellement reconnaissante au premier ministre Chrétien de m’avoir offert cette occasion. J’ai toujours été déterminée à défendre les intérêts de la quatrième personne. C’est pourquoi je présente l’amendement. Il ne faut pas se contenter du statu quo, mais insister pour du changement.

Jusqu’à son dernier jour, mon père m’a toujours dit : « Ne laisse personne te dire que tu n’es pas leur égale. Tous les êtres humains sont égaux. » Voilà pourquoi nous avons tous droit au même degré de considération.

L’an dernier, dans cette enceinte, les sénateurs Plett, Lankin, Moodie et Bernard, entre autres sénateurs, ont amené le Sénat à prendre de nouvelles mesures et à s’opposer fermement au racisme en cet endroit et dans l’ensemble du Canada.

Honorables sénateurs, je vous prie humblement de vous joindre à moi pour faire en sorte que des données désagrégées — concernant la race en particulier — soient systématiquement recueillies à l’échelle nationale, pour que l’ensemble du pays puisse aller de l’avant.

Adoption de la motion d’amendement

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-7, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau, à l’article 3 :

a)à la page 8, par substitution, aux lignes 31 à 41, de ce qui suit :

« (2) Le passage de l’alinéa 241.31(3)a) de la même loi précédant le sous-alinéa (ii) est remplacé par ce qui suit :

  1. a)pour régir la fourniture et la collecte de renseignements relatifs aux demandes d’aide médicale à mourir ou à la prestation de celle-ci, notamment :

(i) les renseignements qui doivent, à différentes étapes, être fournis par les médecins, les infirmiers praticiens, les personnes visées au paragraphe (1.1) qui ont la responsabilité de procéder aux évaluations préliminaires, les pharmaciens et les techniciens en pharmacie, ou par toute catégorie de ceux-ci, y compris :

(A) les éléments qui ont été considérés dans le cadre des évaluations — préliminaires ou non — de l’admissibilité d’une personne à l’aide médicale à mourir selon les critères prévus au paragraphe 241.2(1),

(B) les renseignements concernant la race de la personne qui demande ou reçoit l’aide médicale à mourir, si celle-ci consent à les fournir,

(2.1) L’alinéa 241.31(3)b) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

  1. b)pour régir l’utilisation, l’analyse et l’interprétation de ces renseignements, notamment pour cerner les iniquités fondées sur la race et la façon dont la race est liée à d’autres formes d’inégalités systémiques dans l’aide médicale à mourir;

b.1) pour régir la protection, la publication et la communication de ces renseignements; »,

b)à la page 9, par suppression des lignes 1 et 2 de la version française.

Honorables sénateurs, je me souviens de l’époque où les mesures d’action positive ont fait leur apparition au Canada. Les gens avaient beaucoup de questions et d’inquiétudes. Ils craignaient que ce genre de politiques n’incluent pas tout le monde et ne s’appliquent qu’aux femmes. Certains sont même allés jusqu’à parler de discrimination à rebours. Des Canadiens ont alors répliqué qu’il ne s’agissait pas de faire de la discrimination à rebours, mais de promouvoir l’équité, et c’est aussi le but de mon amendement.

Je vous exhorte aujourd’hui à appuyer cet amendement pour l’avenir de notre pays, pour assurer l’harmonie dans notre société, et pour mon petit-fils, Ayaan, qui écoute ces délibérations et qui m’a encouragée à proposer cet amendement.

Merci, honorables sénateurs.