2e Session, 43e Législature
Volume 152, Numéro 34
Le mardi 30 mars 2021
L’honorable George J. Furey, Président
Projet de loi sur la Journée internationale de la langue maternelle
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Mobina S. B. Jaffer propose que le projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle, que j’ai présenté.
Cette journée internationale aurait lieu le 21 février.
Le projet de loi vise à désigner une journée internationale de la langue maternelle. Précisons que cette journée n’est pas une fête légale ni un jour non juridique. Ce n’est pas la première fois que je présente ce projet de loi, honorables sénateurs. La dernière fois, il avait été renvoyé au Comité des affaires sociales.
Honorables sénateurs, je souhaite dire, d’entrée de jeu, qu’il s’agit d’un projet de loi important pour bon nombre d’entre nous.
Notre langue maternelle fait partie de notre identité. Elle nous donne des racines. Je dois vous dire que mes petits-enfants ne parlent malheureusement pas notre langue maternelle aussi bien que nous l’aurions souhaité. Il arrive toutefois souvent, pendant un repas, que notre petite de sept ans parle notre langue maternelle quand elle cherche à exprimer quelque chose avec émotion. Nous sommes tous vraiment touchés de voir que sa langue maternelle est souvent, pour elle, la meilleure façon d’exprimer ce qu’elle ressent.
Ce projet de loi instituera officiellement la Journée internationale de la langue maternelle, une initiative qui reflète à merveille ces valeurs profondément canadiennes que sont l’inclusion, l’ouverture, l’équité et le respect de tous.
S’il y a une jeune femme dont l’histoire nous rappelle à tous l’immense privilège et les grandes responsabilités qui incombent aux sénateurs canadiens en matière de diversité linguistique, c’est bien Heeba. Aujourd’hui dans la fin vingtaine, Heeba a quitté le Bangladesh en 1992 pour immigrer au Canada. Quand on lui a demandé ce qu’elle pensait du projet de loi S-211, elle a expliqué que le multilinguisme était devenu son identité culturelle.
Voici ses mots exacts :
C’est extrêmement important pour moi de parler ma langue maternelle, le bengali, avec ma famille. Quand j’étais à l’université, j’ai toujours eu des colocataires allemands et français et je profitais de chacune des occasions qui s’offraient à moi de parler avec eux dans leur langue.
J’ai remarqué que les gens sont très reconnaissants quand je fais l’effort de m’adresser à eux dans leur langue maternelle. Les yeux de mes amis brillent quand je leur parle en bengali, en népalais, en hindi ou en espagnol. Je parle aussi parfaitement le français et l’anglais.
Le goût des langues court dans ma famille : mon père parle italien et mandarin, tandis que ma mère parlement couramment l’allemand. Je suis incroyablement fière de parler ma langue maternelle, le bengali.
J’ai suivi des cours de bengali à l’université pour être capable de lire des ouvrages plus savants et de la poésie. Le Bangladesh m’a légué un extraordinaire bagage culturel, et j’aimerais tant que mes enfants parlent eux aussi le bengali, en plus de nombreuses autres langues.
J’ai beaucoup de mal à m’attacher à une seule langue. Je suis plusieurs langues à la fois, comme de nombreux autres Canadiens.
Cela fait partie de l’identité canadienne.
Désigner le 21 février comme la Journée internationale de la langue maternelle serait une occasion de célébrer les langues maternelles tout en soulignant l’importance de pouvoir communiquer librement, ouvertement et fièrement dans sa langue maternelle.
La Journée internationale de la langue maternelle a été proclamée pour la première fois en novembre 1999 dans le cadre d’une résolution adoptée à l’unanimité lors de la 30e Conférence générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. La proclamation était considérée comme l’un des volets d’une plus vaste stratégie internationale visant à « encourager la conservation et la défense de toutes les langues parlées par les peuples du monde entier ».
Avec l’adoption de la version finale de la résolution 56/262, le 15 février a été désigné à l’échelle internationale comme la Journée internationale de la langue maternelle.
La résolution symbolise aussi la commémoration et la promotion de la diversité linguistique et culturelle ainsi que du multiculturalisme et de toutes les langues maternelles.
Depuis ce temps, cette journée est célébrée dans le monde entier chaque année, le 21 février. Ce projet de loi vise essentiellement à rendre hommage aux gens de toutes les régions du Canada qui parlent avec fierté leurs langues maternelles; on en compte plus de 200, dont l’espagnol, le gujarati, le pendjabi, le tagalog et bien d’autres encore.
À Vancouver seulement, plus de la moitié des enfants en âge d’aller à l’école apprennent une langue autre que le français et l’anglais. De la même manière, 25 % des habitants de Vancouver indiquent que leur langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais.
En plus, c’est dans ma province d’origine, la Colombie-Britannique, qu’on trouve plus de la moitié des langues autochtones du Canada. Malheureusement, seul un Autochtone sur 20 dans la province parle couramment sa langue maternelle et presque tous ces Autochtones sont des aînés.
Nous savons tous que beaucoup — bien trop, en fait — de langues autochtones ont disparu. Chaque fois qu’une langue disparaît, c’est un peu de l’identité de notre pays qui disparaît.
(1740)
En dépit des efforts louables du gouvernement pour s’attaquer au problème avec le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, seules 4 des 60 langues autochtones recensées sont considérées aujourd’hui comme ne risquant pas de disparaître.
Voici ce que disait l’honorable René Cormier, le président du Comité sénatorial permanent des langues officielles :
[…] ce projet de loi nous invite aussi à réfléchir aux grands enjeux touchant la disparition, la préservation et la réappropriation des langues autochtones. Le colonialisme et le projet d’expansion de l’État canadien ont eu des effets dévastateurs sur ces peuples. Victimes des pensionnats autochtones, les communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont vu leurs langues maternelles et leurs cultures décimées par les gouvernements canadiens successifs.
Au recensement de 2011, plus de 60 langues autochtones étaient recensées, mais seulement 14,5 % des membres des Premières Nations avaient encore comme langue maternelle une langue autochtone. En 2016, le nombre de langues recensées se chiffrait à plus de 70, dont plus de 33 de ces langues autochtones étaient parlées par au moins 500 individus, tandis que d’autres étaient parlées par aussi peu que 6 personnes.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-211 ne vise aucunement à remettre en question le statut du français et de l’anglais en tant que langues officielles du Canada, comme le garantit la Charte canadienne des droits et libertés. Je sais que la reconnaissance de la valeur du bilinguisme est un pilier de notre grand pays et de l’identité canadienne, que l’on pense au passé, au présent ou à l’avenir. Le projet de loi S-211 soutient le bilinguisme et notre multilinguisme riche et diversifié. Il me semble qu’il est plus que temps.
De nombreux Canadiens parlent de multiples langues, ce qui enrichit la culture du Canada et le pays dans son ensemble. C’est pourquoi la Journée internationale de la langue maternelle, le 21 février, est une occasion de célébrer sa langue maternelle avec fierté. Elle vise à amplifier les droits de tous les Canadiens de célébrer et de mettre en valeur leur langue maternelle.
Peu importe leurs origines, tous les sénateurs canadiens ont intérêt à défendre fermement le bilinguisme canadien ainsi que le multilinguisme canadien. Le projet de loi S-211 soutient le bilinguisme et reconnaît de façon plus officielle le multilinguisme. En fait, en plus du français et de l’anglais, toutes les langues maternelles des Canadiens méritent d’être honorées et célébrées.
Quand j’étais jeune, on m’a enseigné à être fière de parler ma langue maternelle, et j’en tire toujours de la force. C’est un fondement de ma personnalité, et ma langue me définit. En tant que mère et grand-mère, je continue cette lutte pour la reconnaissance de toutes les langues maternelles pour que les jeunes, y compris mes petits-enfants, sachent que leur langue maternelle fait partie de leur identité.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-211 ne reconnaît pas clairement ce fait. En raison de la présente pandémie mondiale de COVID-19, le besoin des Canadiens de se rapprocher et de se comprendre les uns les autres devrait être considéré comme plus important que jamais.
Ce qui est peut-être le plus important, c’est que la reconnaissance officielle de la Journée internationale de la langue maternelle nous permet de sensibiliser davantage tous les Canadiens et d’élargir leurs horizons. Les langues représentent sans contredit une stratégie d’unité nationale. Elles permettent à tous les peuples d’établir des relations uniques fondées sur la confiance, la compréhension et l’histoire. C’est notre fondement. C’est notre identité.
Honorables sénateurs, je tends la main à chacun d’entre vous et je vous demande de m’aider à appuyer le projet de loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle. Cela fait partie de nos valeurs canadiennes.
Des voix : Bravo!