Débats du Sénat (hansard)
1re Session, 39e Législature,
Volume 143, Numéro 57
Le mercredi 6 décembre 2006
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
LE CABINET
LES INITIATIVES GOUVERNEMENTALES DE LUTTE CONTRE LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES—LA SUPPRESSION DU REGISTRE DES ARMES D’ÉPAULE
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Je voudrais d’abord féliciter les sénateurs Fortier et Fairbairn, qui ont traité avec éloquence de l’importante question de la violence contre les femmes en cette journée très difficile pour bien des gens, le 6 décembre.
Comme les sénateurs le savent, c’est aujourd’hui la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes. Nous nous souvenons aujourd’hui du massacre qui s’est produit à l’École Polytechnique de Montréal, où 14 femmes ont été ciblées et tuées parce qu’elles étaient des femmes. C’était un moment déterminant dans une lutte d’une envergure nettement plus grande pour mettre fin à la violence insensée qui continue de cibler les femmes dans notre société.
Malheureusement, un événement rappelle cette lutte terrible que mènent même les femmes de ma province. Cette année, on a encore trouvé les restes de femmes vulnérables sur la ferme de Picton. Près de Prince George, des femmes autochtones ont été brutalement assassinées. Les membres de ma collectivité en Colombie- Britannique ont été bouleversés par l’assassinat de trois femmes originaires de l’Asie du Sud. L’une d’elles était enceinte et ses restes calcinés ont réellement changé, dans ma province, notre perspective de la violence contre les femmes.
Honorables sénateurs, nous commémorons aujourd’hui ce qui est arrivé à ces femmes à Montréal et à de nombreuses femmes qui ont été assassinées. Toutefois, le temps n’est plus au souvenir mais à l’action dans ce dossier.
Je sais que cette question préoccupe profondément madame le leader du gouvernement au Sénat. Pourrait-elle nous dire ce qu’entend faire le gouvernement à cet égard et nous parler plus précisément des efforts déployés pour démanteler le registre fédéral des armes d’épaule, que même la police dit utile pour protéger les femmes qui font face à la violence?
L’honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Je remercie le sénateur Jaffer de sa question. Je suis certaine qu’aucun sénateur n’oubliera ce qu’il faisait le jour de cette horrible tragédie à l’École Polytechnique de Montréal. Je me souviens que c’était une journée d’hiver extrêmement froide et que j’occupais alors le poste de chef de cabinet adjoint du premier ministre Mulroney. Je n’ai pas oublié le sentiment d’horreur qui m’a envahie en regardant les événements se dérouler en cette effroyable journée.
(1400)
Honorables sénateurs, nous souscrivons à ce que le premier ministre a dit plus tôt aujourd’hui : les crimes violents, sous toute forme que ce soit, sont inacceptables. En tant que Canadiens, nous devons réaffirmer notre détermination à prévenir et à éliminer la violence contre les femmes.
Le gouvernement prend au sérieux la sécurité de nos citoyens, en particulier celle des femmes. Nous collaborons avec Condition féminine Canada afin d’appuyer les projets qui aideront directement les femmes au sein de leurs collectivités.
Les ministres Oda et Prentice administrent des programmes de lutte contre la violence dans les collectivités autochtones.
Nous venons en aide aux Canadiennes les plus vulnérables.
Dans le budget de 2006, le ministre des Finances a retiré des rôles d’impôt fédéral 650 000 Canadiens à faible revenu. Nous mettons aussi plus de ressources dans les mains des parents. Cet argent servira à aider les femmes qui sont sur le marché du travail.
Le ministre Prentice travaille à la question de la division des biens patrimoniaux pour les femmes qui vivent dans des réserves. Ce partage ne se faisait pas auparavant et il aidera à placer les femmes dans des environnements plus sûrs.
En matière de contrôle des armes à feu, le gouvernement conservateur précédent a présenté les mesures législatives les plus rigoureuses de l’histoire canadienne. Il l’a fait par suite de la tragédie survenue à l’École Polytechnique.
Des mesures concernant la demande et la délivrance de permis sont toujours en place pour les propriétaires d’armes à feu.
Les statistiques montrent que, au Canada, les crimes perpétrés avec des armes à feu contre des femmes impliquent généralement des armes de poing entrées illégalement au Canada.
Au Collège Dawson, le crime a été commis par un déséquilibré qui avait obtenu illégalement des armes à feu.
Le sénateur Jaffer : Madame le leader du gouvernement n’a pas répondu à ma question sur le démantèlement du registre des armes d’épaule. Ce registre restera-t-il en place?
Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, il est clair que les gens font mal la distinction entre des lois strictes en matière de contrôle des armes à feu et le registre des armes d’épaule. Les chasseurs, les agriculteurs et les membres de clubs de tir à la cible observent des lois strictes pour obtenir des armes à feu. Ces lois ont été présentées par un gouvernement conservateur précédent.
Comme la vérificatrice générale l’a souligné, le registre des armes d’épaule représente une expérience ratée de 2 milliards de dollars. Cet argent aurait été mieux dépensé, s’il avait servi à renforcer la sécurité aux frontières et à mieux équiper nos policiers. Lorsque le Parlement a été saisi de la question, au milieu des années 1990, j’ai dit expressément, à l’époque, qu’il serait préférable de consacrer cet argent aux refuges pour femmes maltraitées et à l’amélioration de la sécurité aux frontières.
(1405)
Honorables sénateurs, il ne faut pas confondre le registre des armes d’épaule avec nos lois strictes de contrôle des armes à feu. Le gouvernement a déjà signifié clairement qu’il était d’accord avec la vérificatrice générale pour dire que ces 2 milliards de dollars n’ont pas été utilisés judicieusement. Les propriétaires d’armes d’épaule sont des personnes responsables.
Je vous ai dit que j’ai grandi à la ferme. Nous avions un fusil à la maison. Mon père était un propriétaire d’arme responsable. Il ne s’en serait jamais servi à mauvais escient, et il n’aurait jamais laissé quelqu’un d’autre le faire.
Il ne faut donc pas confondre la question du registre des armes d’épaule avec nos lois strictes de contrôle des armes à feu.
L’honorable Terry M. Mercer : Madame le leader du gouvernement au Sénat ne trouve-t-elle pas un peu hypocrite que, en ce jour où nous honorons la mémoire des femmes qui, de façon tellement tragique, ont été tuées à l’École Polytechnique, le nouveau gouvernement du Canada envisage toujours d’abolir le registre des armes à feu? Le nouveau gouvernement du Canada a fermé 12 bureaux de Condition féminine Canada, alors qu’il est évident que, aujourd’hui, les femmes sont exposées aux mêmes risques qu’à l’époque de la tuerie de l’École Polytechnique.
Certains prétendent que ce registre n’aurait pas pu prévenir le drame du Collège Dawson, mais la prévention est en grande partie une question de perception. C’est ce que le gouvernement fait qui est perçu comme aidant à protéger les personnes vulnérables, et en l’occurence, puisque c’est le sujet de notre échange, les femmes vulnérables à cause des armes à feu, armes de poing ou armes d’épaule. Surtout en ce jour, je trouve renversant que nous parlions toujours de l’abolition du registre des armes d’épaule et que nous permettions la fermeture de 12 bureaux de Condition féminine Canada.
Le sénateur LeBreton : Je remercie le sénateur de sa question. Le problème des libéraux, c’est qu’ils créent des perceptions qui ont fort peu à voir avec la réalité. Nous parlons de cet enjeu aujourd’hui parce qu’on m’a posé une question à ce sujet. Comme femme, comme être humain, j’ai été bouleversée par ce qui s’est passé à l’École Polytechnique. Je peux me passer des leçons du sénateur Mercer sur la perception de la réalité.
Quant aux compressions effectuées à Condition féminine Canada, le gouvernement travaillera avec les femmes là où les programmes peuvent les aider, non en payant des personnes chargées de l’administration qui restent assises dans un bureau pour surveiller les choses ou parler au téléphone portable, comme le sénateur Gustafson l’a dit.
L’argent ira au niveau local, là où on en a besoin, là où les femmes vivent et travaillent.
L’impression que le registre des armes d’épaule a quelque chose à voir avec nos lois strictes de contrôle des armes à feu n’est pas propagée par nous. Je voudrais citer un chiffre important : selon le Centre canadien de la statistique juridique, près de 7 millions d’armes d’épaule sont enregistrées au Canada. Or, des 549 meurtres enregistrés au Canada en 2003, deux ont été commis avec des armes d’épaule qui avaient été enregistrées.
(1410)
Le sénateur St. Germain : Réveillez-vous, les libéraux.
L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, il me semble très singulier que les conservateurs proposent des solutions qui consistent à bâtir des prisons et des refuges plus nombreux pour les femmes battues au lieu de proposer des solutions marquées au coin de la sollicitude et de la compassion. Leur solution, c’est de multiplier les compressions aux dépens des plus vulnérables. Ce n’est pas ma question, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’intervenir.