Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 39e Législature,
Volume 144, Numéro 71

Le mardi 17 juin 2008
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Les affaires étrangères

L’affaire Omar Khadr

L’honorable Roméo Antonius Dallaire : Honorables sénateurs, le 15 avril dernier, j’ai demandé au leader du gouvernement au Sénat si le premier ministre recevait personnellement de ses fonctionnaires de l’information relative aux conditions d’incarcération d’Omar Khadr.

Madame le ministre m’a dit qu’elle irait chercher l’information auprès du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et qu’elle me donnerait une réponse. Avec tout ce qui se passe et étant donné l’urgence d’avoir une réponse sur le cas d’Omar Khadr — puisqu’on s’engage dans un processus juridique —, madame le ministre peut-elle nous confirmer que le premier ministre reçoit bel et bien des informations spécifiques sur ce dossier et qu’il prend des décisions?

[Traduction]

L’honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement et secrétaire d’État (Aînés)) : Je devrai vérifier avant de répondre au sénateur car j’ai toujours fait preuve de cohérence, comme le gouvernement, en répondant aux questions relatives à M. Omar Khadr.

Rien n’a changé depuis que j’ai répondu aux dernières questions que m’avait posées le sénateur au sujet de M. Khadr. J’ai effectivement regardé le reportage à la CBC hier soir, mais je n’ai rien à ajouter pour le moment.

Il est vrai que le gouvernement suit ce dossier, comme je l’ai dit au Sénat antérieurement. Le reportage d’hier soir montrait à l’évidence qu’il s’agit d’accusations graves. Il va de soi que certaines personnes ont un autre point de vue sur la situation.

(1505)

Comme le sénateur le sait, la Cour suprême a rendu une décision, mais je crois comprendre que les avocats de M. Khadr n’étaient pas entièrement satisfaits de beaucoup des autres recommandations. Le gouvernement décidera quelle suite donner à l’affaire après avoir eu la possibilité d’examiner la décision de la cour.

Le sénateur Dallaire : Je dois revenir à la charge auprès du leader du gouvernement, qui a d’abord déclaré que rien n’avait changé depuis que j’ai posé une question à ce sujet. Cependant, le juge qui a menacé de produire une partie des renseignements nécessaires pour le procès a été congédié abruptement et il vient juste d’être remplacé. La Cour suprême du Canada, dont je m’inspirerai davantage que ma collègue, a déclaré que le processus en place à Guantanamo Bay, où M. Khadr est détenu, viole les lois des États-Unis et les obligations internationales du Canada à l’égard des droits de la personne.

Il y a également la Cour suprême des États-Unis, qui, étant appelée pour la troisième fois à se prononcer sur Guantanamo Bay en tant qu’institution, a déclaré que cette prison était illégale et inacceptable et que les détenus devraient avoir droit aux recours réguliers.

Cela étant dit et étant donné que nous parlons d’un enfant-soldat, que nous avons signé la convention, qu’il existe des lois internationales et qu’un individu actuellement devant la Cour pénale internationale a utilisé des enfants-soldats et que tout le monde a admis que nous ne devrions pas soumettre M. Khadr à un procès judiciaire, mais que nous devrions le réadapter et le réintégrer dans la société, qu’est-ce qui nous empêche de faire jouer tous nos accords historiques puisqu’il est ici question d’un Canadien?

Le sénateur LeBreton : Je remercie le sénateur de sa question. Il cite les décisions d’un tribunal d’un autre pays. Il ne s’attend tout de même pas à ce que je commente les décisions de la Cour suprême des États-Unis.

Le gouvernement est au courant des décisions de la cour. Je parlais évidemment des décisions de la Cour suprême du Canada.

Je dois faire remarquer au sénateur que, même avant la décision de la Cour suprême du Canada, nous avions fourni environ 3 000 documents à l’avocat de M. Khadr. Aussi peut-on dire que le gouvernement a collaboré avec l’avocat de M. Khadr.

C’est aux États-Unis de décider comment ils régleront la question de Guantanamo Bay, pas au gouvernement du Canada.

Le sénateur Dallaire : D’après ce que dit le leader, le gouvernement du Canada approuve tout à fait ce qui se passe à Guantanamo Bay, même si c’est contraire à toutes les règles et conventions. Le gouvernement est d’avis que c’est un cas d’application régulière de la loi, et que les États-Unis ont été justes en laissant ce garçon en prison pendant six ans. Le gouvernement convient que les Américains ont obtenu des renseignements du détenu d’une manière qui contrevient à la loi et qu’ils emploient un processus qui a été jugé illégal dans leur propre pays. Même si nous voulons respecter la volonté des États-Unis, leurs actions sont complètement contraires aux conventions et aux règles du droit international auxquelles nous souscrivons. Pourtant, le leader continue à dire que nous ne devons pas nous mêler des affaires des autres.

Le détenu aurait tué un soldat américain, mais cela n’a pas été prouvé.

La véritable raison pour laquelle nous ne voulons pas le rapatrier au Canada serait-elle que les États-Unis sont nos alliés? Est-ce parce que nous ne voulons pas intervenir dans la guerre contre le terrorisme ou plutôt parce que nous sommes en train de nous laisser séduire par un processus illégal qui nous mènera à imiter les Américains et à ne pas respecter les droits de la personne, les procédures établies et les libertés civiles?

Le sénateur LeBreton : Le sénateur me demande si j’approuve ce qui se passe, et ma réponse est non, pas du tout. Il est évident que M. Khadr fait face à des accusations graves. Il est à Guantanamo Bay depuis longtemps. Selon certains rapports, il a été interrogé sous un gouvernement antérieur. Les représentants de ce gouvernement l’ont rencontré et interrogé. C’est le gouvernement précédent qui a remis les résultats de ces interrogatoires au gouvernement des États-Unis. Ce n’est pas le gouvernement actuel.

(1510)

« Et alors? », répond le sénateur Dallaire. Où était le sénateur lorsque…

Le sénateur Dallaire : Ne vous avisez pas de me demander où j’étais.

Son Honneur le Président : À l’ordre!

Le sénateur Dallaire : Je pourrais vous demander où vous étiez, vous aussi.

Le sénateur LeBreton : J’étais ici et je ne me souviens pas avoir entendu le sénateur poser une question au sujet d’Omar Khadr lorsque son parti était au pouvoir.

Quoi qu’il en soit, comme je l’ai dit auparavant, c’est un cas très sérieux. Les accusations sont très graves. Le gouvernement procède avec beaucoup de précautions dans ce dossier. Il surveille la situation. Étant donné que des gens ont pu rencontrer M. Khadr, nous avons toutes les raisons de croire qu’il est traité comme il se doit. La procédure suit son cours aux États-Unis.

Je sais qu’un juge a été dessaisi du dossier. Je ne connais pas tous les détails du système judiciaire des États-Unis, mais c’est une affaire qui se trouve devant les tribunaux des États-Unis. Je dirais qu’il faut laisser la procédure et les appels suivre leur cours et espérer qu’on arrivera à un dénouement satisfaisant.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorable sénateurs, je vais dire au leader où moi je me trouvais. J’étais au Sénat et je n’ai pas posé de questions parce que j’avais l’impression que le gouvernement des États-Unis traitait M. Khadr équitablement. Depuis quelques années, ce n’est toutefois plus le cas. On sait que tous les gouvernements occidentaux ont rapatrié leurs citoyens. Pourquoi M. Khadr ne peut-il pas être rapatrié dans son pays pour y subir les conséquences de ses actes et pour qu’on s’occupe de sa réadaptation? C’est notre enfant-soldat.

Le sénateur LeBreton : Je remercie madame le sénateur de sa question. Elle dit qu’elle était ici et qu’elle avait l’impression que M. Khadr était traité équitablement par le gouvernement des États- Unis. Or, pratiquement rien n’a changé en ce qui a trait aux accusations contre M. Khadr. En outre, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le gouvernement a remis plus de 3 000 pages de documentation à l’avocat de M. Khadr avant même la décision de la Cour suprême du Canada.

Je ne sais pas ce qui s’est passé entre le moment où M. Khadr a été envoyé à Guantanamo Bay et maintenant. Pendant quatre ans, entre 2002 et 2006, les gens disaient qu’il était bien traité par les autorités américaines et, tout à coup, après 2006, quelque chose a changé, il est maltraité.

Je ne suis pas le raisonnement du sénateur. Les avocats de M. Khadr ont beaucoup travaillé sur son cas. Le gouvernement canadien, en l’occurrence, ce gouvernement et le gouvernement précédent, est convaincu que M. Khadr est traité humainement et convenablement. Une procédure d’appel est en cours dans le système de justice américain. Une grave accusation a été portée dans cette affaire. Personne ne le niera. Donc, peu de choses ont changé sauf qu’il semble que le cas de M. Khadr attire davantage d’attention et qu’il suive son cours.

Le sénateur Jaffer : J’aimerais dire au leader ce qui a changé.

Nous avons découvert que M. Khadr a été torturé, que le juge chargé de son procès a été démis de ses fonctions et que M. Khadr a des problèmes de santé. Plus important encore, les autres pays occidentaux ont rapatrié leurs citoyens. Pourquoi laissons-nous tomber ce jeune homme?

Le sénateur LeBreton : Les allégations sont contradictoires. Certains formulent des accusations de mauvais traitements, et d’autres les réfutent. Notre gouvernement, tout comme le gouvernement du sénateur avant nous, a mis en place un processus pour se tenir au courant de l’état de M. Khadr. L’émission diffusée à la CBC hier soir a présenté des arguments dans les deux camps: ceux qui pensent qu’il n’a pas assassiné le soldat américain et ceux qui pensent qu’il l’a fait. Il ne nous appartient pas de trancher; c’est au tribunal de le faire. Dans ce cas, nous devrions laisser les tribunaux trancher.

(1515)

L’honorable Tommy Banks : Honorables sénateurs, le leader du gouvernement au Sénat a soulevé la question de la logique. Il semble qu’on ait déterminé, lors du procès, que l’événement au cours duquel M. Khadr est présumé avoir commis l’homicide était un échange de coups de feu. Est-ce à dire que, lorsqu’il y a un échange de coups de feu entre deux forces militaires opposées, les forces qui réussissent à abattre un opposant doivent être accusées de meurtre?

Le sénateur LeBreton : Je ne répondrai pas à cette question. Dans un conflit comme celui-ci, et en situation de guerre, je ne ferai pas de commentaire. Le fait est que les tribunaux américains ont été saisis de cette affaire. Ni moi ni personne ne peut dire grand-chose. Nous ne devrions pas préjuger d’une affaire actuellement entendue par les tribunaux ni la commenter. Il y a des histoires dans tous les camps. Chacun peut tirer ses propres conclusions. Les seules personnes qui peuvent vraiment déterminer les faits et ce qui s’est vraiment passé, ce sont les juges dans un tribunal.