2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 17

Le jeudi 21 novembre 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

La justice

La cyberintimidation

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. J’attendais impatiemment de voir comment le ministre de la Justice comptait s’attaquer au problème de la cyberintimidation et, hier, il me tardait de lire le projet de loi.

Comme vous le savez, les sénateurs ont mené une étude approfondie sur cette question, étude qui a fait consensus. Lorsque j’ai parcouru le projet de loi — je n’ai pas pu l’étudier exhaustivement, puisqu’il n’a été déposé qu’hier —, j’ai été stupéfaite par son contenu. Les outils d’enquête prévus dans le projet de loi, qui débordent du domaine de la cyberintimidation, ne sont pas expliqués ni même mentionnés dans le document d’information sur le projet de loi diffusé sur le site web du ministre de la Justice, M. Mackay.

(1410)

Cette omission a suscité des critiques, notamment de la part de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, qui a qualifié la loi sur la cyberintimidation de cheval de Troie englobant une ancienne mesure législative controversée, que le gouvernement a depuis retirée. Cette mesure législative aurait accordé plus de pouvoirs aux policiers en leur permettant d’avoir légalement accès aux communications électroniques. Un autre groupe a déclaré qu’essentiellement, on s’est contenté de recopier les dispositions d’une ancienne mesure législative sur la surveillance d’Internet. Et la liste est encore longue.

Monsieur le leader, je suis inquiète. Le Sénat a consacré beaucoup de temps et de ressources à l’étude de la cyberintimidation, un problème grave. Voilà maintenant que le ministre de la Justice donnera aux policiers le pouvoir d’espionner les jeunes afin de savoir ce qu’ils font. Est-ce ainsi que vous entendez régler les problèmes de cyberintimidation?

[Français]

L’honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, notre gouvernement est déterminé à protéger les enfants contre les prédateurs en ligne et l’exploitation en ligne. Nous avons donné suite à l’engagement pris dans le discours du Trône de veiller à mieux protéger les enfants contre l’intimidation, y compris la cyberintimidation, en déposant ce projet de loi pour criminaliser la distribution d’images intimes sans le consentement des personnes représentées.

La cyberintimidation s’étend bien au-delà de l’intimidation dans la cour d’école et, dans certains cas, elle peut devenir une activité criminelle. Le projet de loi C-13, Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité, interdit la distribution non consensuelle d’images intimes, autorise un juge à ordonner le retrait d’images intimes d’Internet, à ordonner la saisie de l’ordinateur, du téléphone cellulaire ou d’un autre appareil mobile utilisé pour commettre l’infraction, à rembourser la victime pour les frais encourus afin de faire retirer les images intimes d’Internet ou ailleurs et à émettre une ordonnance pour empêcher une personne de distribuer des images intimes.

Ce sont des gestes concrets, honorables sénateurs. Notre gouvernement a également pris d’importantes mesures, comme je l’ai souligné, hier, dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention du crime, et ce projet de loi s’ajoute à notre stratégie en matière de cyberintimidation.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, malgré tout le respect que je vous dois, ce n’est pas une autre stratégie. On essaie d’envoyer nos jeunes en prison. Ce n’est pas une stratégie qui permet de susciter le dialogue au sein de notre société.

Le Comité sénatorial des droits de la personne a entendu le témoignage de jeunes gens, qui ont dit que, au cours d’une seule et même journée, une personne pouvait être une victime, un tyran et un spectateur. Oui, tout ça le même jour. Quel jour allez-vous choisir, et combien de jeunes gens allez-vous envoyer en prison?

On nous a dit qu’il existait une façon simple de régler le problème. Lorsqu’une plainte est formulée à propos de certaines images, le fournisseur de services Internet devrait retirer les images en question. Par la suite, on entreprendrait un processus de justice réparatrice, qui rassemblerait ceux qui ont affiché les images sur Internet et ceux qui ont subi un préjudice. Le problème pourrait être réglé à l’école ou au sein de la collectivité.

Combien de jeunes gens emprisonnerons-nous? La victime ou l’intimidateur? Parce qu’une même personne pourrait jouer ces deux rôles dans la même journée.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, le projet de loi est clair et fait partie d’une approche complète. Je l’ai expliqué, hier, et je vous réitère que notre gouvernement a pris d’importantes mesures afin de lutter contre les comportements néfastes associés à l’intimidation ou à la cyberintimidation.

Comme je l’ai déjà dit, avec la Stratégie nationale pour la prévention du crime, notre gouvernement s’est engagé à verser 10 millions de dollars pour les nouveaux projets de prévention de la criminalité, notamment la prévention de l’intimidation à l’école. Nous avons participé et participons à des campagnes de sensibilisation comme Aidez-moi s’il vous plaît; c’est une approche concrète qui vise la sensibilisation par des campagnes dans les écoles, mais également la contrepartie pour ceux qui décident de poursuivre l’intimidation malgré qu’ils aient été avisés ou sensibilisés. L’approche complète prévue dans le projet de loi C-13 vise l’interdiction de la distribution non consensuelle d’images jusqu’à la saisie des appareils et la compensation lorsque c’est nécessaire.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Avant de poser mon autre question complémentaire, honorables sénateurs, je m’en voudrais de ne pas souligner le travail de la sénatrice Ataullahjan, qui nous a soumis ce dossier. C’est en effet à la suggestion de celle-ci que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a étudié la question.

C’est le Sénat qui a fait le travail. Je suis donc fort déçue que le ministre de la Justice n’ait pas jugé bon de souligner ce qu’a accompli le Comité sénatorial des droits de la personne relativement à la cyberintimidation, bien que ce travail rayonne dans le monde entier.

Monsieur le leader, quelle enveloppe budgétaire sera réservée à la justice réparatrice afin d’éviter que de jeunes gens finissent en prison?

[Français]

Le sénateur Carignan : Comme je l’ai expliqué, des campagnes sont prévues dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention de la criminalité, notamment un montant de 10 millions de dollars pour des nouveaux projets de prévention de la criminalité, incluant la prévention de l’intimidation à l’école. C’est un ensemble de mesures qui est pris pour prévenir la criminalité.

Évidemment, lorsqu’on cible les jeunes, on cible également ce fléau qu’est devenue la cyberintimidation. C’est pourquoi nous prenons cette situation extrêmement au sérieux et c’est pourquoi le ministre de la Justice a déposé le projet de loi C-13, hier, à la Chambre des communes. Nous aurons sûrement la chance de l’étudier ici et j’espère que vous voterez en faveur de ce projet de loi.

[Traduction]

L’honorable Wilfred P. Moore : J’ai une question complémentaire. Honorables sénateurs, je n’ai pas eu l’occasion d’analyser le projet de loi en profondeur, mais je crois comprendre qu’il contiendrait des dispositions qui n’ont rien à voir avec la cyberintimidation.

Le leader pourrait-il m’expliquer le lien entre le vol de systèmes de câblodistribution et la cyberintimidation? Pourquoi en serait-il question dans le projet de loi?

[Français]

Le sénateur Carignan : Il y a une série de mesures qui sont prévues pour combattre la cyberintimidation, qui vont du retrait d’images d’Internet jusqu’à la saisie de l’ordinateur, du téléphone cellulaire ou d’un autre appareil mobile utilisé pour commettre l’infraction. On veut s’assurer que tout appareil ou toute technologie utilisés pour commettre l’infraction puissent être saisis et retirés.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Cela ne répond pas vraiment à ma question. Quel est le lien entre le vol de systèmes de câblodistribution et la cyberintimidation?

[Français]

Le sénateur Carignan : Un ensemble de technologies et de méthodes peuvent être utilisées pour commettre de la cyberintimidation, c’est pourquoi le projet de loi prévoit l’ensemble des possibilités de saisies de différentes technologies ou d’appareils technologiques. Je vous en ai cité quelques-uns. C’est l’intention de notre gouvernement de combattre la cyberintimidation par tous les moyens utilisés pour commettre l’infraction.

[Traduction]

Le sénateur Moore : J’ai une autre question complémentaire. Je ne veux pas présumer de ce qui ressortira de l’étude du projet de loi, mais je perçois dans le libellé une espèce d’abus de pouvoir, comme pour élargir l’espionnage électronique de manière, peut-être, à contourner les lois actuelles.

Si nous ne sommes pas d’accord et que nous tentions de faire amender le projet de loi et, notamment, les dispositions relatives au vol de systèmes de câblodistribution, affirmeriez-vous alors que c’est parce que nous sommes pour la cyberintimidation?

[Français]

Le sénateur Carignan : Le projet de loi donne suite au rapport sur la cyberintimidation du groupe de travail fédéral-provincial- territorial sur la cybercriminalité au terme d’un long processus consultatif auquel ont participé les Canadiens de tout le pays.

(1420)

Le groupe a recommandé ceci :

Que les pouvoirs d’enquête prévus dans le Code criminel soient modernisés.

Permettez-moi donc d’ajouter que si la police veut recourir à l’un ou l’autre de ces nouveaux pouvoirs, elle devra évidemment obtenir l’autorisation d’un juge. Avec une approche complète dans la lutte contre la cybercriminalité, on a vu la nécessité de moderniser les dispositions du Code criminel. Encore une fois, j’espère que l’ensemble des sénateurs appuieront ces mesures.

[Traduction]