2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 94
Le jeudi 6 novembre 2014
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
La sécurité publique
L’Agence des services frontaliers du Canada—Le décès de personnes détenues
L’honorable Wilfred P. Moore : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Monsieur le leader, Global News a diffusé hier un reportage sur les décès survenus dans des locaux de détention de l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC. Le reportage fait état de neuf personnes décédées alors qu’elles étaient détenues par les autorités frontalières. L’ASFC n’a révélé ces incidents à personne. Global News a découvert les détails de ces affaires en cherchant dans des documents légaux et les dossiers du coroner.
Lorsque je suis intervenu à l’étape de la deuxième lecture d’un projet de loi que j’ai proposé pour instaurer un mécanisme de surveillance de l’ASFC, j’ai parlé du cas de Lucia Vega Jimenez, une Mexicaine de 42 ans. Je veux rappeler ce qui est arrivé à cette dame. Le 20 décembre 2013, elle s’est suicidée alors qu’elle était en détention dans un local de l’ASFC à l’aéroport international de Vancouver. Elle s’est pendue dans la salle de bain d’une cellule de détention sans fenêtre, où on la gardait en attendant son renvoi au Mexique.
Le jury, lors de l’enquête du coroner sur la mort de Mme Jimenez, a appris que l’agence chargée d’assurer la sécurité de l’établissement ne faisait pas 70 p. 100 des rondes de surveillance parce qu’elle manquait d’employés, et que les listes de contrôle des rondes étaient falsifiées. Le jury a recommandé que l’Agence des services frontaliers du Canada mette en place des centres de détention destinés aux immigrants; que ce soit des employés de l’agence qui y travaillent; que les détenus aient accès à des conseillers juridiques, à des soins de santé, à des représentants d’ONG, et à Internet, sous supervision; que les proches des détenus et des conseillers spirituels puissent les visiter; et que les détenus aient accès au téléphone et à des cartes d’appel. Les employés et les sous-traitants de l’agence devraient aussi suivre une formation obligatoire sur la prévention du suicide. Dans une déclaration, l’agence a dit, en réponse à l’incident, qu’elle avait modifié les installations, que la surveillance avait été accrue, et qu’elle allait aussi « examiner attentivement les constatations et les recommandations découlant de l’enquête ».
Étiez-vous au courant que neuf personnes sont décédées pendant qu’elles étaient détenues par l’Agence des services frontaliers du Canada?
[Français]
L’honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Si vous me posez la question à titre personnel, à savoir si moi, Claude Carignan, j’étais au courant de ces décès, je répondrai par la négative. Toutefois, je suis ici pour répondre au nom du gouvernement. Je puis vous assurer que le gouvernement met tout en œuvre pour s’assurer que les droits des personnes sont respectés et que les agences qui travaillent au Canada le font conformément à leur mandat et dans le respect des droits des individus.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Monsieur le leader, je ne m’attendais pas à ce que vous soyez au courant. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est choquant. Il faut absolument se pencher sur la question; je pense que vous devez en convenir. Toute personne raisonnable serait de cet avis.
Des gens n’ont pas rempli leur rôle, ils ont falsifié des documents et ils n’ont pas surveillé des gens fragiles; c’est incompréhensible.
L’incident me rappelle l’affaire Robert Dziekanski. Où est passée la compassion canadienne? Il s’agit d’une situation intolérable. J’aimerais connaître très précisément les mesures que l’Agence des services frontaliers du Canada a prises en réponse aux recommandations que le jury a formulées dans le cadre de l’enquête du coroner sur le suicide de Mme Jimenez. Nous n’aurions jamais entendu parler non plus de Mme Jimenez si sa famille au Mexique ne s’était pas manifestée.
Nous sommes au Canada, dans une démocratie ouverte et libre. De quoi avons-nous peur au juste? Je ne comprends pas ce qui passe. J’aimerais que, à titre de leader, vous vérifiiez ce que l’ASFC a fait exactement dans ce dossier, et ce qu’elle fait pour se doter d’un centre de détention approprié.
Je n’arrive pas à croire qu’une telle chose puisse se produire dans notre pays.
(1420)
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénateur, vous mentionnez des accusations concernant des documents falsifiés dont je n’ai pas connaissance, mais si vous croyez que des actes criminels ont été commis, je vous invite à porter plainte afin que les services appropriés puissent faire enquête et que des accusations puissent être portées, s’il y a lieu.
Il est difficile pour moi de commenter des situations spécifiques, mais je puis vous assurer que le gouvernement s’attend à ce que les organismes gouvernementaux — dans ce cas-ci, l’Agence des services frontaliers du Canada — agissent conformément à la loi et dans le respect de leurs limites et obligations légales et, évidemment, dans le respect du droit des individus qui s’applique en pareille matière, tout en sachant que les attentes concernant la vie privée ne sont pas les mêmes pour l’Agence des services frontaliers du Canada qu’à l’intérieur du pays, pour les raisons que vous connaissez.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Ce n’est pas moi qui dis que les documents ont été falsifiés, monsieur le leader, mais le jury qui a établi ses conclusions en se fondant sur l’enquête du coroner. Vous me suggérez de porter plainte contre l’ASFC, mais nous savons tous que ces plaintes sont réglées à l’interne par l’agence. Voilà pourquoi il nous faut exercer une surveillance. C’est comme si vous me demandiez d’attribuer une note à mon propre examen.
Je comprends que vous disiez que le personnel de cette agence ou de tout autre organisme gouvernemental doit remplir ses obligations dans le respect des lois du pays, mais de toute évidence, monsieur, il ne le fait pas. Nous devons exercer une surveillance et changer cette culture. Nous ne pouvons pas laisser une telle situation se reproduire.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je crois qu’il s’agit d’un commentaire; je ne peux donc pas fournir de réponse.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Ce ne sont pas mes commentaires, monsieur le leader, mais ceux des jurés, de citoyens canadiens. Ils croient que c’est inacceptable. N’essayez pas de vous défiler en disant que ce sont mes commentaires. Je vous donne des renseignements fiables, monsieur, et je crois qu’il faudrait y donner suite.
[Français]
Son Honneur le Président intérimaire : Sénateur Carignan, avez-vous un commentaire ou une réponse?
Le sénateur Carignan : Il me semble qu’il s’agit de la période des questions.
[Traduction]
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Monsieur le leader, l’incident dont parle le sénateur Moore est survenu dans ma province, et, malheureusement, cette femme était très troublée et avait peur de retourner chez elle. On s’apprêtait à la renvoyer vers un conjoint abusif, et elle était dans un état fragile. Lorsque vous vous renseignerez, j’aimerais que vous déterminiez quels sont les critères qui sont employés pour expulser une femme qui a fui une situation abusive, et quelles sont les mesures disponibles pour protéger les femmes qui se trouvent dans des circonstances aussi horribles.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je prends votre question en note et je vous ferai parvenir une réponse complète plus tard.