« Trois femmes m’ont maintenue pendant que la sage-femme pratiquait l’opération. Elles étaient toutes nos voisines. Ma mère et ma grand-mère se tenaient dans le coin de la pièce. J’ai pleuré pour qu’elles m’aident et arrêtent ces femmes, mais quand mes cris sont devenus plus forts, ma mère a rejoint les autres femmes et m’a crié : « Tais‑toi! Veux-tu être une fille immorale ? Ne veux-tu pas te marier ? » J’étais consternée, puis la honte m’a envahie. Trente ans ont passé depuis ce jour, mais je m’en souviens encore comme si c’était hier. »

Il y a de nombreuses années, dans un hôpital d’Afrique de l’Est, j’ai vu un père qui portait sa fille dans ses bras. Des larmes coulaient sur son visage et sur sa chemise ensanglantée et il appelait à l’aide. Sa fille, elle aussi couverte de sang, gisait immobile dans ses bras après avoir été soumise à la mutilation brutale de ses organes génitaux. Personne n’a pu la sauver. Elle est morte. La semaine dernière, une fille de 12 ans est morte en Égypte après avoir elle aussi subi la mutilation de ses organes génitaux. Dans l’intervalle, des centaines de filles sont mortes, et des millions sont devenues ce que nous appelons des « survivantes » des mutilations génitales féminines.

Dans l’enceinte du Parlement canadien, nous nous sommes battus pour faire adopter la loi criminalisant l’excision et les mutilations génitales féminines en 1997, et nous avons continué à nous battre depuis pour qu’elle soit bel et bien appliquée, mais à ce jour, il n’y a pas une seule poursuite. Nous avons également mis à jour le guide de la citoyenneté afin de supprimer une référence condamnant cette pratique. Bien que le guide actuel dénonce celle‑ci, ce n’était pas l’objectif ultime. Les mots dans les lois et les guides ne suffisent pas à mettre fin à cette pratique brutale.

Dans le cadre de la politique féministe du Canada, nous travaillons activement dans les pays où l’on pratique les mutilations génitales féminines, qui font partie de leurs traditions depuis très longtemps et précèdent même le christianisme et l’islam. Je salue ces efforts de tout mon cœur. Cela dit, qu’avons‑nous fait ici, chez nous, pour aborder ce problème? Il y a 200 millions de survivantes des mutilations génitales féminines dans le monde et plus de trois millions de filles en danger chaque année. Certaines de ces survivantes et de ces filles à risque se trouvent ici même, au Canada. Il est choquant de constater qu’il n’existe pas de statistiques officielles permettant de comprendre l’ampleur du problème.

Il y a presque dix ans, en 2011, une analyse informelle du recensement canadien indiquait qu’il pourrait y avoir plus de 80 000 survivantes des mutilations génitales féminines au Canada. L’année dernière, des documents gouvernementaux communiqués aux journalistes aux termes de la Loi sur l’accès à l’information ont montré que des milliers de jeunes filles canadiennes pourraient être en danger. Il n’existe aucune autre analyse, information ou statistique officielle, et aucun ministère n’a reçu le mandat d’enquêter sur la situation ou de trouver des solutions.

Les mutilations génitales féminines sont l’un des actes de violence les plus brutaux commis contre les femmes et les filles, et pourtant, le silence qui l’entoure est assourdissant. Depuis des années, je demande au gouvernement de prendre des mesures pour que les survivantes des mutilations génitales féminines qui ont immigré au Canada bénéficient de soins de santé et de soins prénataux appropriés. Je demande aussi que ces femmes soient informées des complications de santé qui accompagnent cette pratique, des traumatismes et de l’impact psychologique qui y sont associés, ainsi que des lois qui portent sur celle-ci. Nous devons nous assurer que ces femmes sont bien soignées et qu’elles ne soumettent pas leurs filles à cette brutalité.

Nous devons faire plus. Tout d’abord, nous devons reconnaître qu’il s’agit d’un problème canadien. Nous devons établir un plan pour éliminer cette pratique et ne pas nous contenter de simplement la condamner. Le gouvernement, les responsables de la santé, les enseignants, la société civile et les dirigeants communautaires doivent travailler ensemble pour aborder cette situation. Comment pouvons‑nous être fiers de notre féminisme et de nos solides valeurs en en ce qui concerne les droits de la femme, mais demeurer les bras croisés lors qu’il est question de la mutilation des filles?