Photo Credit: International Civil Society Action Network (ICAN) and WASL Partners (Women’s Alliance for Security Leadership)
Plus de 820 millions de personnes ne mangent pas à leur faim, et 113 millions d’entre elles font face à une grave crise de la faim. Il suffit d’un jour de paye manqué pour que les familles des régions les plus pauvres du monde souffrent d’insécurité alimentaire, et celles qui vivent dans des zones de conflit sont les plus vulnérables, notamment au Yémen, où plus de 13 millions de personnes font face à la famine.
C’était ainsi avant la pandémie de COVID‑19.
Les mesures de confinement et les perturbations du transport devraient faire grimper ces chiffres et exacerber les tragédies. Dans les régions les plus pauvres, à cause des pertes de revenus découlant de la pandémie, la situation s’est empirée pour ceux qui risquaient déjà l’insécurité alimentaire. Il devient encore plus difficile de se procurer des aliments dans les États fragiles et touchés par des conflits, où il y avait déjà des embûches à la logistique et à la distribution avant la COVID‑19 et l’éloignement physique imposé.
Lors d’une séance virtuelle organisée par l’International Civil Society Action Network qui a réuni plus de 30 artisanes de la paix de partout dans le monde, l’insécurité alimentaire a été l’un des principaux problèmes soulevés. J’ai appris à quel point les femmes sur le terrain assument la responsabilité de répondre aux besoins fondamentaux des gens et cherchent à atténuer les souffrances.
Avec un minimum de ressources, la plupart des artisanes de la paix ont réorienté leurs efforts afin de lutter contre la crise d’insécurité alimentaire. Grâce à l’accès qu’elles ont à leur communauté et au degré de confiance qu’elles ont acquis pendant des années à travailler sur le terrain, ces artisanes de la paix possèdent une connaissance profonde de ses besoins. Voici des exemples du travail incroyable que les artisanes de la paix accomplissent actuellement :
En Turquie, les réfugiés syriens, dont les conditions de vie étaient déjà très précaires, ont été gravement touchés par les mesures de confinement. L’artisane de la paix syrienne Najlaa Alsheikh a donc lancé une petite campagne de financement afin d’aider les personnes dans le besoin. Najlaa travaillait initialement avec ses deux fils et un camionneur afin de venir en aide à 80 familles. Quelques semaines plus tard, après avoir étendu la portée de ses activités, elle peut maintenant compter sur plusieurs marchands et le gouvernement local pour venir en aide à 5 000 familles.
En Indonésie, l’artisane de la paix Ruby Kholifah a également réorienté son travail pour faire de la sensibilisation et fournir une aide humanitaire. L’organisation de Ruby est présente dans 39 villages et fournit chaque semaine des centaines de paquets de nourriture et des masques de protection. Elle organise également des maisons où peuvent être mis en isolement les migrants qui reviennent dans les villages.
Au Pakistan, au Sri Lanka, au Kenya, en Palestine, en Ouganda et ailleurs, des femmes ont formé des comités et se sont organisées afin de veiller à ce que de la nourriture parvienne à ceux qui en ont besoin. Avec l’arrivée du mois de jeûne du ramadan, elles prennent des mesures spéciales pour assurer une alimentation suffisante.
Il était à la fois très instructif et accablant d’entendre les femmes parler de l’ampleur de la crise et du travail qu’elles font pour aider. Malgré l’énorme responsabilité qu’elles assument, elles ne participent pas à l’élaboration de politiques ou à la prise de décisions par les gouvernements. Elles n’obtiennent pas le soutien qu’elles devraient. Elles s’organisent efficacement pour aider de nombreuses personnes malgré l’absence d’aide gouvernementale.
Ici au Canada, nous avons aussi des gens qui souffrent, en particulier les sans-abri. Il leur est difficile de rester en sécurité et de pratiquer l’éloignement physique, et ils ont aussi parfois de la difficulté à trouver de la nourriture. Nous avons des Canadiens extraordinaires qui, malgré les risques pour leur santé, travaillent vaillamment pour leurs concitoyens les plus vulnérables.
Entendre les femmes parler de la façon dont elles s’organisent pour acheminer de la nourriture vers les personnes les plus vulnérables m’a rappelé ma mère, Goolbanu Sherali Bandali Jaffer. Elle était travailleuse sociale en Ouganda et, même si cela ne faisait pas partie des tâches liées à son emploi, elle a organisé des programmes alimentaires pendant de nombreuses années. Je me souviens qu’elle avait convaincu l’USAID de lui fournir du lait en poudre. Trois fois par semaine, à midi, elle distribuait du lait, surtout à d’autres femmes. Elles se mettaient en ligne devant chez nous, et la file faisait parfois le tour du pâté de maisons. Avec l’aide de ses amies, elle recueillait des fonds pour acheter des aliments frais et des légumes pour les personnes dans le besoin. Je me souviens d’être souvent allée dans des épiceries avec ma mère. Elle usait de toute la persuasion dont elle était capable pour obtenir de la farine, du riz et des lentilles. Je me souviens nettement de certains marchands qui protestaient parce qu’elle les avait sollicités le mois précédent.
Elle l’admettait volontiers, et y retournait le mois suivant. Elle expliquait gentiment que les personnes vulnérables ont les mêmes difficultés que nous tous. Elles doivent manger tous les jours. Comme nous, elles ont besoin de nourriture tous les jours; pas seulement un mois sur deux. Ma mère savait bouger rapidement et recueillir des aliments. J’ai tellement appris à ses côtés. Elle avait un bon emploi et un bon logement, mais elle veillait à ce que ses concitoyens, en particulier les femmes, puissent se nourrir comme sa famille et elle le faisaient.
Aujourd’hui, je presse notre gouvernement et les parlementaires — chacun de nous — d’en faire plus.
L’insécurité alimentaire et la faim n’ont pas leur place dans notre monde, en particulier dans le contexte d’une pandémie et d’une crise sanitaire exacerbée par la malnutrition et l’insécurité.
Comme ma mère le disait, nous devons tous manger.