Débats du Sénat (hansard)
3e Session, 40e Législature,
Volume 147, Numéro 40
Le jeudi 17 juin 2010
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
La Loi sur les Cours fédérales
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Seidman, appuyée par l’honorable sénateur Lang, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et la Loi sur les Cours fédérales.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui dans le débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-11, qui modifiera la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Je félicite le ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté, Jason Kenney, et l’honorable Maurizio Bevilacqua, qui n’ont ménagé aucun effort en vue de renforcer ce projet de loi. Je signale, par ailleurs, que ce projet de loi a été adopté à l’unanimité non seulement au comité, mais aussi à la Chambre des communes.
Honorables sénateurs, nous avons le privilège de vivre dans un pays pacifique, un pays où l’on respecte nos libertés fondamentales. La Charte canadienne des droits et libertés protège ces libertés fondamentales. Ce n’est pas dans tous les pays que les gens ont un tel privilège. Bien des gens, aux quatre coins de la planète, ne jouissent pas de ce privilège. Je pense aux réfugiés, entre autres. En 1951, la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié a défini un « réfugié » comme étant « une personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, a dû quitter son pays ».
Comme les sénateurs l’ont sans doute remarqué, cette définition des Nations Unies ne vise pas les personnes craignant d’être persécutées du fait de leur sexe. En 1993, toutefois, le Canada a ajouté à cette définition des directives visant à protéger les femmes réfugiées. Ces directives sont devenues un aspect important du système canadien en matière de protection des réfugiés. L’un des critères de ces directives est le suivant : « Les femmes qui craignent d’être persécutées uniquement pour des motifs liés à la parenté, c’est-à-dire en raison du statut, des activités ou des opinions de leurs conjoints, père et mère, et frères et sœurs, ou autres membres de leur famille. »
Malheureusement, il arrive souvent qu’on ne tienne pas compte des directives visant à protéger les femmes réfugiées. Une des raisons qui explique cela, c’est que ces femmes ne sont pas persécutées par le gouvernement, mais par leur famille.
D’où que vienne la persécution, de l’État ou de la famille, ces femmes sont persécutées et elles ont besoin de notre aide. Les femmes qui sont victimes de mutilations génitales, de mariages forcés et de meurtres d’honneur font probablement partie de ce groupe. Nous avons tous entendu parler de mères qui fuient leur pays avec leurs jeunes filles qui sont menacées de mutilation génitale.
Le ministre et le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada doivent continuer de tenir compte de ces critères aux termes du projet de loi C-11 pour veiller à ce qu’on veille sur ces personnes. Les directives relatives aux différences entre les sexes sont une partie importante du projet de loi, car les femmes peuvent devoir affronter des formes de persécution particulières. Malheureusement, elles ne sont pas le seul groupe qui soit persécuté.
Si un réfugié fuit son pays à cause de son appartenance à un groupe, c’est là un motif acceptable pour accorder le statut de réfugié. Dans l’arrêt Patrick Francis Ward c. Procureur général du Canada, la Cour suprême du Canada établit les motifs acceptables pour alléguer la persécution fondée sur l’appartenance à un groupe social particulier. Comme le prescrivent les directives, la définition englobe « les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable ». Dans l’arrêt Ward, la cour a statué que les personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leurs antécédents linguistiques étaient effectivement englobés dans la définition. Par conséquent, la persécution d’une personne en raison de son orientation sexuelle est considérée comme une raison suffisante pour accorder le statut de réfugié. C’est là une réaction au fait que de nombreux pays persécutent des gens à cause de leur orientation sexuelle. Dans certains pays, la peine infligée pour homosexualité est la pendaison. C’est pourquoi, dans notre pays, nous accordons l’asile à ceux qui sont persécutés en raison de leur orientation sexuelle.
D’après le rapport intitulé 2010 Report on State-Sponsored Homophobia, 76 pays considèrent l’homosexualité comme illégale. En Iran, en Arabie saoudite, au Soudan et au Yémen, elle est punissable de mort.
Honorable sénateurs, nous savons qu’un certain nombre de questions surgiront lorsque le projet de loi sera renvoyé au comité. Permettez-moi d’énumérer un certain nombre de questions que le comité devra étudier.
La première est celle de la désignation de pays ou, comme le projet de loi le disait au départ, la liste des pays sûrs. Les pays considérés comme les moins susceptibles d’être des sources de réfugiés sont donc inscrits sur la liste des pays désignés. Cette liste était l’un des éléments les plus controversés du projet de loi C-11.
Dans sa forme initiale, le projet de loi ne prévoyait aucun critère pour régir la composition de la liste, mais les critères nécessaires ont été ajoutés. Un pays ne peut y figurer à moins qu’un comité formé de représentants indépendants du gouvernement ne donne son approbation.
Selon le nouveau critère, il faudra qu’il y ait un nombre minimum de demandes provenant d’un pays, avec un taux élevé de refus. Avec la liste des pays désignés, il est maintenant accepté d’accélérer le processus. Il faut toutefois laisser assez de temps à la personne pour faire valoir sa cause.
Un autre problème en ce qui concerne la liste était son impact. La proposition initiale disait que les personnes provenant d’un pays inscrit sur la liste n’auraient pas le droit d’interjeter appel. Au terme d’un long travail avec Maurizio Bevilacqua, porte-parole de l’opposition officielle à la Chambre des communes, le gouvernement a accepté de modifier le texte pour que ces personnes aient droit à un appel accéléré. Cette disposition respecte la position du haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés. Son but est d’accélérer l’étude des demandes. Toutefois, honorables sénateurs, comme je l’ai déjà dit, l’étude des demandes relatives à l’orientation sexuelle ou au sexe ne peut être accélérée, même si la personne est originaire d’un pays désigné. Je demande au comité de faire des observations à cet égard.
La deuxième question est celle du Formulaire de renseignements personnels. Il sera remplacé par une entrevue qui aura lieu non plus dans les sept jours, mais dans les 15 jours et sera menée par un agent de la Section de la protection des réfugiés.
Le formulaire est un moyen efficace, et il n’est pas utile de le remplacer par une entrevue. Bien que l’entrevue prenne 15 jours et le formulaire 28, ce dernier demeure plus efficace parce qu’il exige moins de ressources.
Au lieu de la représentation du réfugié par un avocat, le projet de loi C-11 prévoit qu’un agent de la Section de la protection des réfugiés non seulement recueillera l’information, mais évaluera aussi l’information recueillie. Le comité devra voir s’il y a là un conflit d’intérêts. Plus précisément, le projet de loi substituera au Formulaire de renseignements personnels, qui, fournit tous les détails qui se rapportent à la demande, une entrevue de collecte de renseignements. De plus, pour veiller à ce que le processus soit juste, une aide juridique devrait être proposée à ce stade.
La troisième question est celle de l’évaluation du risque avant le renvoi. Dans le système actuel, avant qu’une personne puisse être renvoyée, il y a une demande d’évaluation du risque avant le renvoi, qui permet de juger du risque que court une personne si elle est renvoyée dans son pays d’origine. Aux termes du projet de loi, on ne peut présenter à ce stade que des éléments de preuve nouveaux. Cette protection n’est peut-être pas suffisante.
La nouvelle loi fait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le décideur qui se prononce sur la demande d’évaluation du risque avant le renvoi. Honorables sénateurs, je vois là une modification positive.
La quatrième question est celle de la Section d’appel des réfugiés. Tout le monde convient que l’ajout de cette section est une mesure importante qui améliore le système des demandes d’asile Il y a lieu d’en féliciter le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. La difficulté, c’est que la Section d’appel des réfugiés ne permettra la présentation que d’une preuve limitée au lieu de tout le dossier de l’audition. La nouvelle section d’appel, à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, se saisira d’appels écrits au sujet des demandes rejetées. La grande question sera celle des délais appliqués aux appels.
On craint que les nouvelles règles n’exigent que les appels soient présentés trop rapidement. Les demandeurs n’auraient pas assez de temps pour trouver un avocat et se pourvoir en appel. Les délais ne sont pas précisés dans le texte du projet de loi.
Le comité devrait se demander si les délais doivent être semblables à ceux prévus par la Cour fédérale du Canada, qui donne 15 jours pour interjeter appel et 30 jours de plus pour présenter l’appel. Des délais moindres ne seraient pas raisonnables.
La cinquième question est celle de l’audition pour des motifs humanitaires. Le comité devra se pencher sur un certain nombre de questions pour assurer que les droits accordés à un réfugié aux termes du projet de loi ne sont pas érodés. Dans la version initiale du projet de loi, toute demande fondée sur des motifs humanitaires était interdite pendant un an si la personne avait demandé le statut de réfugié. Je suis heureuse de signaler que cette mesure a été modifiée.
De plus, il y avait une disposition qui restreignait la prise en considération des motifs humanitaires pour éviter que ne soient pris en compte les éléments liés aux risques examinés par la Section des réfugiés. À la Chambre des communes, une précision a été ajoutée : l’examen des motifs humanitaires doit tenir compte des difficultés que le réfugié éprouverait s’il était renvoyé dans son pays d’origine.
Honorables sénateurs, ma plus grande crainte, c’est que, un jour, le Canada ferme ses portes aux réfugiés. Si les portes avaient été fermées lorsque ma famille est venue au pays, nous aurions éprouvé de graves difficultés.
Je suis déterminée à établir pour les réfugiés un système qui puisse inspirer confiance aux Canadiens. Le jour où ils cesseront de faire confiance au système sera un jour dangereux pour les nombreuses personnes qui sont persécutées dans le monde.
Honorables sénateurs, je suis arrivée au Canada comme réfugiée. Je suis tout à fait consciente du fait que, n’eût été de la générosité des Canadiens, ma famille et moi aurions été plongés dans des difficultés atroces. Aujourd’hui, ma famille est intégrée à la société canadienne. Nous sommes fiers de dire que le Canada est notre patrie.
Quand je vais en Ouganda, les gens me disent qu’ils trouvent les Canadiens extraordinaires : « Vous avez été chassée de l’Ouganda, votre pays de naissance. Et le Canada vous a nommée au Sénat? » Ils n’arrivent pas à croire combien les Canadiens sont généreux. Tout ce que je peux dire aujourd’hui, en mon nom et en celui de ma famille, c’est merci de nous avoir donné asile.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Jaffer : Vous nous avez sauvés, ma famille et moi, de très grandes difficultés. J’ai maintenant la responsabilité de veiller à ce que le Canada dispose toujours d’un système crédible de protection de ceux qui sont persécutés.
Des voix : Bravo!