Débats du Sénat (hansard)

3e Session, 40e Législature,
Volume 147, Numéro 65

Le mardi 16 novembre 2010
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Projet de loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme

Troisième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-7, Loi visant à décourager le terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États.

Le projet de loi S-7 vise à décourager le terrorisme et le financement du terrorisme en tenant les entités qui ont commis des actes de terrorisme ou les États étrangers qui les ont appuyées responsables devant un tribunal canadien. Le projet de loi établit une cause d’action à l’étranger permettant aux victimes canadiennes d’actes de terrorisme d’engager des poursuites contre des personnes, des organisations et des entités terroristes afin d’obtenir compensation pour les pertes et les dommages qu’elles ont subis par suite de tout acte ou omission commis par ces personnes, organisations ou entités en violation du Code criminel du Canada. Il permet aussi aux victimes de terrorisme d’intenter des poursuites contre les États étrangers qui ont appuyé les entités terroristes ayant commis ces actes.

Le projet de loi S-7 modifie également la Loi sur l’immunité des États afin de créer une nouvelle exception au concept d’immunité des États. Cette exception permet au Cabinet d’établir une liste sur laquelle il peut inscrire tout État étranger, s’il est convenu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que ledit État soutient ou a soutenu le terrorisme.

Honorables sénateurs, j’aimerais remercier les sénateurs Segal, Tkachuk et Furey, ainsi que tous les sénateurs qui ont siégé au Comité sénatorial spécial sur l’antiterrorisme, pour le travail qu’ils ont accompli dans ce dossier. J’aimerais également remercier tous les témoins qui ont comparu.

Il y a deux semaines, le sénateur Tkachuk a pris la parole au nom du gouvernement et a proposé des amendements au projet de loi. Le sénateur Tkachuk a travaillé sans relâche à la protection des victimes de terrorisme et je tiens à l’en remercier. Je tiens également à remercier le sénateur Furey, qui a travaillé en étroite collaboration avec le sénateur Tkachuk dans ce dossier.

J’ai eu le temps d’examiner les amendements proposés par le gouvernement. Je suis ravie d’informer les sénateurs que je suis satisfaite d’une part, mais déçue de l’autre. Permettez-moi de m’expliquer.

Lors de la dernière réunion de notre comité, le 12 juillet 2010, j’ai présenté trois amendements à ce projet de loi. J’ai proposé ce qui suit :

Premièrement, j’ai proposé que les critères utilisés pour inscrire un pays sur la liste des États étrangers qui soutiennent le terrorisme soient rendus publics.

Deuxièmement, j’ai proposé un nouveau projet de loi visant à instaurer un fonds pour indemniser les victimes ayant eu gain de cause dans les cas où l’accusé est incapable de payer. Nous avons besoin d’une loi semblable à la Victims of Trafficking and Violence Protection Act adoptée en 2000 aux États-Unis ou d’un fonds semblable au Fonds au profit des victimes créé par la Cour pénale internationale.

Les Américains ont deux lois, une permettant à la victime d’intenter des poursuites et l’autre pour indemniser financièrement la victime.

Nous travaillons sur le projet de loi pour permettre à la victime d’intenter des poursuites, mais il n’y a pas de dispositions pour indemniser les victimes.

Troisièmement, j’ai proposé que, pendant qu’un litige est devant les tribunaux, aucun pays ne devrait être retiré de la liste des États étrangers qui soutiennent le terrorisme. Si un pays est retiré de la liste, la victime devrait tout de même être en mesure de donner suite aux poursuites qu’elle a intentées contre ledit pays. Si un pays est retiré de la liste après le procès, mais qu’il a été reconnu coupable, le poursuivant devrait néanmoins être capable d’obtenir une indemnisation. Si le pays est retiré de la liste, à un moment donné, notre gouvernement devrait veiller à ce que la poursuite suive son cours.

Honorables sénateurs, je suis très heureuse que le gouvernement ait accepté mon troisième amendement. Je suis également reconnaissante que le gouvernement en ait élargi la portée. La nouvelle modification, qui se trouve au paragraphe 7(10), est ainsi libellée :

La radiation de l’État étranger de la liste après que des actions ont été intentées contre lui pour avoir soutenu le terrorisme n’a pas pour effet de restaurer l’immunité de juridiction de celui-ci dans ces actions ou dans tout appel ou procédure d’exécution connexe.

La radiation d’un pays de la liste durant une poursuite judiciaire en cours était une question d’une importance cruciale pour moi, ainsi que pour de nombreux autres sénateurs, durant les délibérations du comité parce que le processus prévu dans le projet de loi était confus, obscur et contradictoire. Même certains des témoins de Sécurité publique Canada l’ont admis.

Par exemple, le 5 juillet, en réponse à la personne qui demandait quelles seraient les conséquences pour le demandeur dont la requête aurait été acceptée, advenant le cas où un État serait retiré de la liste, un représentant légal de Sécurité publique Canada a affirmé ceci :

Si un État figure sur la liste, le demandeur pourra lancer des procédures. Avant qu’une décision ne soit rendue, si l’État est retiré de la liste, sans être en mesure de prédire ce qu’un tribunal dirait, il est probable que l’État en question bénéficierait encore de l’immunité.

Honorables sénateurs, c’était un aspect très problématique du projet de loi parce que cela signifiait que, dans certaines situations, nous ne pouvions pas tenir responsables de leurs actes les États étrangers qui soutiennent le terrorisme. Toutefois, cette injustice a maintenant été corrigée, et je tiens à remercier le gouvernement pour cela.

Ce qui me perturbe actuellement, c’est que ni mon premier amendement ni mon deuxième n’ont été intégrés dans le projet de loi. Le premier amendement visait à rendre publics les critères généraux qui déterminent si un pays sera inscrit sur la liste des États étrangers qui soutiennent le terrorisme.

La liste en question est un aspect fondamental du projet de loi. Elle détermine les pays qui peuvent faire l’objet de poursuites en raison de leur association au terrorisme. Toutefois, une des lacunes que j’ai observées au comité, et qui existe encore aujourd’hui, est que nous ne connaissons pas les critères d’inclusion d’un pays dans la liste. Nous savons seulement qu’un État étranger est inscrit sur la liste s’il existe des motifs raisonnables de croire que cet État soutient ou a soutenu le terrorisme. J’aimerais savoir quels sont ces motifs raisonnables.

Le gouvernement a présenté de nouveaux amendements selon lesquels « le nom d’un État étranger peut être ajouté à la liste à tout moment » et « la liste doit être établie dans un délai précis suivant la date d’entrée en vigueur du présent article ».

Cependant, honorables sénateurs, ces amendements ne nous renseignent pas sur le processus à suivre pour ajouter un pays à la liste. Dans le cadre actuel, trois parties ont le pouvoir d’établir la liste — le gouverneur en conseil, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Sécurité publique — et celles-ci n’ont aucune obligation de faire preuve de transparence.

Comme l’a dit le ministre Toews au comité le 28 juin 2010 :

À mon avis, le gouvernement doit bien réfléchir de manière à décider si l’immunité de certains États devrait être levée.

Il va sans dire qu’une telle décision mérite une profonde réflexion, mais celle-ci, comme toute autre analyse pertinente, doit, selon moi, être transparente. Affirmer que certains pays sont liés au terrorisme est une décision sérieuse qui risque d’entraîner des conséquences diplomatiques tout aussi sérieuses pour le Canada, et c’est pourquoi nous devons faire preuve de transparence dans les critères que nous appliquons pour déterminer l’ajout d’un pays à la liste.

Honorables sénateurs, le deuxième amendement que j’ai proposé porte sur l’adoption d’une nouvelle loi — semblable à la Victims of Trafficking and Violence Protection Act adoptée en 2000 aux États- Unis — ou la création d’un fonds semblable au Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale en vue d’indemniser les victimes dans les affaires où celles-ci ont eu gain de cause mais la partie reconnue coupable n’a pas les moyens de payer.

Comme beaucoup de procédures judiciaires, une telle poursuite peut durer très longtemps et donc coûter très cher.

Comme on le lit dans le deuxième rapport sur le projet de loi, qui a été publié le 5 octobre dernier :

[Ce type de poursuites] est susceptible d’être à la fois complexe et onéreux, nécessitant des victimes de terrorisme qu’elles retiennent les services de témoins experts, tels que, par exemple, des experts-comptables et/ou des spécialistes du renseignement pour démontrer le lien entre les activités et de l’État étranger et les activités de l’entité terroriste.

Étant donné que ces procès peuvent être coûteux et, au bout du compte, que l’accusé — que ce soit une entité terroriste ou un État — pourrait être incapable de payer, il faut créer un cadre financier complémentaire, comme ce qui existe aux États-Unis ou à la Cour pénale internationale, afin d’indemniser les victimes qui remportent leur procès.

Aux États-Unis, le système a été mis sur pied en vertu de la Victims of Trafficking and Violence Protection Act de 2000. Il nous faut créer un cadre semblable ici au Canada pour s’occuper de ces cas. Il nous faut un système qui servira avec justice les victimes canadiennes.

Je suis déçue que le gouvernement n’ait pas inclus cette modification. Sans cadre financier, un Canadien pourrait remporter sa cause contre un pays ou une entité terroriste, mais sans recevoir le soutien financier qu’il mérite.

Au XXIe siècle, le terrorisme est une triste réalité. Nous constatons chaque jour les répercussions du terrorisme sur notre société. La présentation du projet de loi S-7 aidera sans aucun doute à faire face aux questions liées au terrorisme telles qu’elles se présentent au Canada et contribuera à prévenir des tragédies futures.

Cependant, j’ai l’impression que, pour protéger efficacement les Canadiens, il faudra corriger les défauts du projet de loi le plus tôt possible. Plus précisément, il faut de la transparence dans les critères qui font qu’un pays est ajouté à la liste des États étrangers qui soutiennent le terrorisme. Les décisions à ce sujet ne devraient pas être prises à huis clos mais publiquement en raison de la gravité de la question.

Deuxièmement, le projet de loi doit prévoit des indemnisations pour les victimes qui remportent leurs procès lorsque les accusés sont incapables de payer.

Nous savons tous que les victimes du terrorisme ont assez souffert. Elles doivent prouver leurs allégations et, en plus, elles doivent trouver des moyens d’être indemnisées.

Honorables sénateurs, je remercie le gouvernement d’avoir adopté l’un de mes amendements au projet de loi. Cependant, je l’encourage à examiner encore une fois, à l’autre endroit, les deux autres amendements que j’ai proposés et à les incorporer dans cette importante mesure législative. En incorporant ces amendements, nous servirons les intérêts des Canadiens, en particulier ceux qui ont souffert aux mains des terroristes et des pays qui les appuient.