1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 176
Le mardi 18 juin 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
L’accès à la justice en français
Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Tardif, attirant l’attention du Sénat sur l’accès à la justice en français dans les communautés francophones en situation minoritaire.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin de poursuivre l’interpellation de la sénatrice Tardif au sujet de l’accès à la justice pour les francophones dans les communautés minoritaires du Canada.
Je remercie l’honorable sénatrice Tardif d’avoir lancé cette interpellation sur un sujet qui me tient également à cœur. Depuis longtemps, le Canada est un pays d’immigration.
Selon Statistique Canada, en date du 23 décembre 2009, la population canadienne comptait environ 33 millions d’habitants. Toujours selon Statistique Canada, au cours du troisième trimestre de la même année, la population canadienne affichait une forte croissance d’environ 133 000 personnes.
Il est fort intéressant de souligner le fait qu’un peu plus des deux tiers de cette augmentation sont attribuables à l’immigration internationale, soit environ 90 000 personnes. De plus, l’immigration francophone dans les communautés minoritaires a pris un nouvel essor depuis quelques années.
Le 28 juin 2002, le gouvernement du Canada a adopté la nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Selon le texte de loi, l’article 3 stipule que, en matière d’immigration, la présente loi a pour objet d’enrichir et de renforcer le tissu social et culturel du Canada dans le respect de son caractère fédéral, bilingue et multiculturel.
Toujours selon cette loi, on souligne l’importance de favoriser le développement des collectivités de langue officielle minoritaire au Canada. En tant que un pays d’immigration, le Canada s’efforce de recruter des immigrants qui seront en mesure de contribuer positivement au développement de la société canadienne.
Rappelons qu’environ 137 000 immigrants francophones vivent dans ces communautés, dont 70 p. 100 habitent en Ontario, 15 p. 100 en Colombie-Britannique et 8 p. 100 en Alberta.
Selon le recensement de 2006, les immigrants constituent 13 p. 100 de la population francophone totale dans les communautés minoritaires. Cependant, un problème fait surface : les immigrants qui s’installent dans les communautés francophones en situation minoritaire n’ont pas toujours accès à des services juridiques en français.
(2210)
Par exemple, à Ottawa, un plaignant qui avait rempli le formulaire intitulé « Avis d’intention de comparaître en français » a appris, en arrivant devant le tribunal, que le poursuivant provincial était bilingue, mais que le juge de paix était unilingue anglophone. Face à ce problème, une étude nationale a été réalisée pour la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law.
Rappelons que cette fédération est le regroupement des associations régionales, provinciales et territoriales de juristes d’expression française engagées à promouvoir et à défendre les droits linguistiques des communautés francophones et acadienne.
Le titre de l’étude en question est L’accès à la justice et les carrières en justice pour les immigrants francophones dans les communautés minoritaires du Canada. Le but de cette étude était d’explorer les besoins, les priorités et les pistes d’action possibles en matière d’accès à la justice auprès des nouveaux arrivants francophones vivant dans les communautés minoritaires francophones au Canada. Non seulement l’étude voulait cibler l’accès pour les nouveaux arrivants aux ressources disponibles, mais également de proposer des changements dans le but de favoriser l’accès à la justice en français.
Voici certains faits importants quant aux nouveaux arrivants au Canada.
Le premier est que l’accès à la justice n’est pas vu d’un œil aussi positif que l’accès à la santé, par exemple.
Deuxièmement, un nombre important de gens dans les groupes interrogés dans le cadre de cette étude, notamment les réfugiés, ont été marqués par leur propre expérience du système de justice de leur pays d’origine. De là l’importance de mettre l’emphase sur la fiabilité du système de justice canadien, mais également sur les opportunités quant à l’accès à des services en français.
À titre d’exemple, l’étude montre qu’environ la moitié des répondants ne savent pas où trouver les services d’un avocat ou encore de l’aide juridique de leur province.
Le Canada est fondé sur la primauté du droit. Cela dit, les coutumes culturelles et autres doivent se conformer au droit. Selon cette étude, il est important de prendre en considération ces différents facteurs quant à la mise en œuvre de stratégies venant en aide aux nouveaux arrivants.
Les enjeux et les défis identifiés dans cette étude confirment qu’il sera nécessaire de développer des stratégies et des actions qui ciblent directement les immigrants francophones. Cela permettra d’augmenter l’accès à la justice en français.
L’étude propose quatre grandes orientations stratégiques qui devront guider la mise en œuvre des projets.
La première orientation stratégique est de positionner l’accès à la justice en français comme un déterminant de l’immigration réussie. L’étude mentionne que l’accès à la justice en français devrait être positionné comme un déterminant d’une immigration réussie au même titre que l’intégration économique, sociale et culturelle des immigrants francophones.
La seconde orientation spécifique est d’agir sur les attitudes et les croyances des immigrants francophones relativement à l’accès à la justice. Il est important de les sensibiliser avec du matériel de soutien clair et simple expliquant les fondements du système de justice canadien.
La troisième orientation spécifique est d’organiser une approche concertée entre différents organismes communautaires. Un grand constat qui se dégage de l’analyse démographique est la répartition inégale des immigrants dans les provinces et territoires. Cela dit, il faudra accepter que les projets et les stratégies diffèrent selon les régions en fonction de la répartition des immigrants francophones à travers le Canada.
La dernière orientation spécifique est d’établir des relations de travail avec les communautés immigrantes en utilisant des lieux de rencontre naturels de ces communautés.
Ces stratégies proposées par l’étude ne sont qu’un début quant au développement et l’épanouissement de l’accès à la justice en français pour les nouveaux arrivants. En fait, ces stratégies aident à comprendre l’ampleur du problème que vivent les immigrants francophones arrivant au Canada.
Une autre mention avancée par l’étude est la proposition de projets concernant l’accès à la justice en français. À titre d’exemple, en voici deux qui sont ressortis.
Le premier a pour but de rehausser le profil de la justice en français en instaurant une Semaine de l’accès à la justice en français dans les communautés immigrantes francophones. Rappelons que la Semaine du droit à l’information, le Mois de l’histoire des Noirs et la Semaine de la francophonie sont des événements importants qui ont lieu chaque année au Canada. Un tel événement donnerait l’occasion aux organismes communautaires de mettre sur pied une série d’événements afin de faire valoir le profil de la justice auprès des communautés immigrantes francophones et des communautés d’accueil.
Le second projet serait de décerner un prix provincial de reconnaissance en matière de justice et d’immigration à une personne ou à un organisme qui fait la promotion des enjeux de justice auprès des communautés immigrantes francophones.
L’élément le plus important qui ressort de l’étude est la nécessité de travailler en concertation, de là, l’importance de la collaboration et la coopération entre les différents organismes communautaires.
Avant de conclure, j’aimerais profiter de l’occasion pour reconnaitre les contributions significatives de M. Rénald Rémillard et de son équipe de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law.
Honorables sénateurs, cette étude nous a permis de mettre de l’avant les problèmes auxquels font face les nouveaux arrivants relativement à l’accès à la justice en français. Devant les faits établis, certains projets et stratégies pourraient améliorer cette situation afin de favoriser l’accès à la justice en français pour les immigrants qui vivent dans les communautés francophones en situation minoritaire.
(Sur la motion du sénateur Tardif, au nom du sénateur Robichaud, le débat est ajourné.)